« Un proverbe hébreu dit : Qui pose des pierres se souvient à jamais. » Jerry Stahl les dépose à sa manière, dans un style littéraire aux frontières de l'absurde. Page après page, il revient sur les ravages de son existence et sur ceux qui ont balayé le XX^e siècle. Comment mêler sa propre histoire à la Shoah ? Peut-être avec la destruction comme point commun. « À la toute fin de l'âge mûr, je me suis senti un peu, comment dire ? À plat. Désabusé. Un pauvre dépressif narcissique versé dans la haine de soi. » Son addiction à l'héroïne avait donné lieu à Mémoires des ténèbres, adapté sur grand écran avec Ben Stiller. Cet auteur et scénariste américain autodidacte est à nouveau à cran dans ce récit difficile à qualifier. Est-ce seulement envisageable de proposer un trip à la sauce Trainspotting dans les camps de concentration ? Il existe en effet désormais des voyages touristiques sur les traces de la Shoah. Jerry s'engouffre dans l'aventure, en compagnie de camarades dignes de l'émission culte Strip-tease. « On ne pouvait pas parachuter des gens à Génocideland, comme ça sans préambule. » N'empêche que présenter « des pans entiers des camps sous forme d'ersatz, romancés, visuellement sexy » pose question. Jusqu'où faut-il aller pour faire connaître la monstruosité de l'Holocauste ? L'auteur juif perçoit « le revers de la médaille quand on emballe l'horreur en format tout compris pour touristes, transformant ainsi les camps en parcs d'attractions - Bienvenue à Auschwitzland ! » Ce lieu, qui se suffit à lui-même, est envahi de cars, touristes, selfies et dérives marketing démesurées. On peut en rire ou en pleurer. Que ce soit à Buchenwald, Dachau ou Nuremberg, la nausée et l'Histoire sont palpables. Face à cette « immersion dans l'immonde », Stahl se « retrouve confronté à... l'humanité, » la nature humaine se heurtant à la haine et l'instinct de survie poussés à l'extrême. Malgré la férocité de sa plume, l'auteur « aimerait que la douleur et la souffrance causées par la Shoah puissent servir de passerelle vers le martyre enduré par d'autres. L'Holocauste à l'œuvre dans les années 1940 est révolu ; toutefois les attaques d'ordre génocidaire sur les droits humains continuent à échelle mondiale, nationale, locale. »