Portrait

Jeunesse américaine

Isabel Finkenstaedt - Photo Olivier Dion

Jeunesse américaine

Très discrète fondatrice de Kaléidoscope, qui fête ses 25 ans, Isabel Finkenstaedt a d’abord été tentée par l’univers de la cuisine avant de tracer un chemin singulier dans l’édition pour la jeunesse.

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Par Claude Combet
Créé le 26.09.2014 à 18h30

Fondatrice des éditions Kaléidoscope, Isabel Finkenstaedt revendique la maxime de Maxwell Perkins, l’éditeur de Fitzgerald : "Un éditeur n’est pas fait pour être vu." De fait, cette fille d’un éditeur et d’une écrivaine a mis vingt-cinq ans - l’âge de sa maison - à sortir de l’ombre, œuvrant pour l’album jeunesse dans la plus grande discrétion. Née à New York, elle est arrivée en France en 1967, à 11 ans, "sans parler un mot de français". En pleine guerre froide, ses parents fuyaient une Amérique paranoïaque et d’éventuelles représailles, sa mère Rose, militante des droits civiques, ayant invité Malcolm X à venir parler aux étudiants de Columbia. Son père, James, alors copropriétaire de l’éditeur William Morrow, vend ses parts et installe un bureau en France, devenant un "Robert Laffont à l’américaine, qui publie avec succès Papillon aux Etats-Unis et fait un flop avec Astérix".

Pourtant destinée au livre, Isabel Finkenstaedt emprunte des chemins détournés. "Mon frère et moi nous étions juré de ne jamais travailler dans l’édition. Mes parents étaient potes avec de grands chefs. Alors après le bac, j’ai passé un CAP de cuisine et un CAP commis de salle", revendique-t-elle fièrement. Elle travaille six ans dans la restauration, notamment avec Jean-Pierre Coffe, puis se lasse d’un métier "épuisant et machiste". Hésitante, elle lit des manuscrits pour son père, retourne un été à New York et rencontre chez William Morrow une grande éditrice américaine pour la jeunesse, Susan Hirschman, qui lui donne des albums et des romans "bien meilleurs que ce que je lisais pour mon père".

Suivent des allers-retours entre la France et l’Amérique : un stage avec Catherine Deloraine chez Flammarion Jeunesse, qui l’envoie à la Foire de Bologne ; un an et demi d’apprentissage à New York auprès de Susan Hirschman, qu’elle admire pour "son amour de la transmission qui rend humble" ; puis à nouveau, en 1983, Flammarion Jeunesse, où elle reste cinq ans éditrice d’albums, jusqu’à la fusion avec le Père Castor. La suite relève de l’amitié. Le Britannique Klaus Flugge, fondateur d’Andersen Press, lui conseille de monter son entreprise et de trouver un diffuseur. L’illustrateur Michel Gay, rencontré par hasard à la librairie Chantelivre, lui promet un livre. L’éditeur Arthur Hubschmid suggère que L’Ecole des loisirs pourrait la diffuser. "J’avais toujours pensé que je pourrais avoir un restaurant, mais jamais imaginé que je monterais une maison d’édition", commente-t-elle.

Isabel Finkenstaedt démarre avec les capitaux de ses amis, Klaus Flugge, Susan Hirschman, l’illustrateur Anthony Browne (qui dessine le logo de Kaléidoscope) et Catherine Deloraine. Elle détient aujourd’hui 70 % de Kaléidoscope. L’Ecole des loisirs n’a aucune part même si ses locaux de la rue de Sèvres, "trouvés dans une annonce du Figaro", et la diffusion entretiennent parfois la confusion.

"Ils ne sont pas seuls"

"Mes amis anglais se débrouillaient pour me donner leurs meilleurs albums", raconte-t-elle. Dès 1989, elle signe avec Anthony Browne, Philip C. Stead, David McKee (le créateur d’Elmer). Elle découvre ensuite Alexis Deacon, Emily Gravett, Oliver Jeffers, puis fait entrer les Français au catalogue : Marianne Barcilon, Geoffroy de Pennart, Kris Di Giacomo (reçu par la poste). "Rarement une maison d’édition aura si bien porté son nom […] Mais un kaléidoscope n’est pas que diversité, c’est aussi un regard sélectif sur le monde", pointe Sophie Van der Linden dans l’introduction de l’anthologie des 25 albums qui ont marqué la maison, réalisée pour son 25e anniversaire. "Isabel a développé des relations privilégiées avec ses auteurs mais surtout sa finesse et sa sensibilité lui permettent de faire les choix éditoriaux justes", observe Christine Mayer, ex-éditrice chez Gallimard Jeunesse. Isabel Finkenstaedt recherche "cette émotion que ressent l’enfant quand il aime un livre. L’enfance est un moment d’incompréhension totale et d’insécurité, note-t-elle. On raconte aux enfants qu’ils comprendront plus tard alors qu’ils veulent comprendre tout de suite. L’album permet de leur dire qu’ils ne sont pas seuls, que d’autres sont passés par là, et qu’ils vont s’en sortir."

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