Elles sont trop petites ou trop atypiques, rayonnent sur un trop grand territoire ou sont éloignées de tout. Pour toutes ces raisons, les librairies installées en zone rurale passent le plus souvent sous les radars de l’Adelc ou du CNL. Mais parce que, face à ces contraintes, elles proposent des réponses originales et adaptées à leur territoire, elles constituent aujourd’hui l’un des laboratoires les plus stimulants pour qui cherche des voies pour inventer la librairie de demain.
C’est en effet à la campagne que se multiplient, depuis plusieurs années, des formats de librairies particulièrement innovants. Ce sont souvent des lieux hybrides mariant commerce du livre et activités culturelles diverses à l’image de Café Plùm, à Lautrec (Tarn), de L’Improbable librairie, à Saint-Genest-d’Ambière (Vienne), ou du dernier-né, Le Relais de poche, à Verniolle (Ariège). Si toutes se sont inspirées des cafés-librairies, et notamment de la Librairie Tartinerie, créée il y a dix-huit ans par Didier Bardy et Catherine Mitjana à Sarrant, 415 habitants dans le Gers, elles poussent le concept beaucoup plus loin. Le Relais de poche se veut un "carrefour culturel gourmand", rassemblant une librairie, une épicerie fine, une galerie d’exposition, une tartinerie et un salon de thé. Elle propose également des concerts, des conférences, des ateliers et un service d’écrivain public.
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.
Pratiquer la diversification, de l’activité comme de l’espace, répond à une envie des libraires, mais aussi à une nécessité pour ces commerces installés sur des bassins de population très étendus, dont le rayonnement couvre jusqu’à 40 kilomètres et qui ne bénéficient pas ou peu d’une clientèle de passage. "Une librairie qui ne vend que du livre ne peut plus exister sur de tels territoires. Le livre comme seul produit et comme vecteur de lien social est toujours performant, mais il ne suffit plus pour attirer le client", analyse Marie-Thérèse Barrault, qui a ouvert en août 2017 Une page à écrire à Janville (Eure-et-Loir), 1 825 habitants. "Avoir une autre approche du modèle économique est indispensable dans les zones rurales, complète Didier Bardy. Cela passe évidemment par l’association du marchand et du non-marchand, mais aussi par une ouverture le week-end, la multiplication des partenariats et du travail en réseau sur un territoire et l’acceptation d’un équilibre entre la rentabilité économique et une rentabilité sociale."
Mini-centre culturel
Toutes les librairies installées à la campagne n’ont pas vocation à se transformer en mini-centre culturel, mais la plupart s’efforcent de s’inscrire dans des dynamiques locales, soit en devenant a minima un relais et un carrefour d’informations culturelles, soit en développant un programme d’animations originales et éclectiques. "En m’installant à Saint-Antonin-Noble-Val, je cherchais bien sûr à vendre du livre, mais aussi à contribuer à la proposition culturelle du village en devenant un lieu de ressources variées", explique Aurèle Letricot. Depuis trois ans, la créatrice du Tracteur savant organise des événements "tous azimuts, du jardin à l’archéologie en passant par des soirées pyjama ou des rencontres dans une grotte". Elle mise moins sur le côté "savant et élitiste de la culture" que sur la convivialité. "Avant tout, nous voulons créer de chouettes moments à partager avec les gens, et aujourd’hui, cela se sait", assure la libraire.
Ce travail ne peut se faire sans une solide politique de réseau local, une "évidence" pour les libraires concernés. Elle leur permet d’augmenter le volume de clientèle en se montrant, chaque fois que c’est possible, jusque dans "des endroits improbables" où le lien avec le livre peut parfois se révéler ténu, souligne Sabine Agraffel, créatrice du Grain de lire à Lalinde (3 000 habitants, Dordogne). Mais, poursuit-elle, les partenariats pallient aussi "le manque de moyens pour organiser des manifestations, du fait de la taille des librairies mais aussi de l’absence de soutien de la plupart des grands éditeurs, qui nous répondent peu ou pas lorsqu’on leur soumet des propositions d’invitations".
Ce réseau aide aussi à porter "des auteurs et des littératures que l’on ne peut défendre seul", ajoute Christel Rafstedt, qui dirige Le Livre dans la théière à Rocheservière (3 340 habitants, Vendée). Même si "on lit à la campagne", insiste la libraire, l’éventail de la clientèle, qui peut aller de gens qui n’ont pas l’habitude de pénétrer dans une librairie à des amateurs de belle littérature ou des spécialistes de sujets pointus, oblige les libraires à composer une offre la plus large possible, répondant à un peu tout et pas forcément toujours choisie. "J’achète des livres que je ne défends pas", admet Aurélie Bouhours, chez Au temps des livres à Sully-sur-Loire (5 300 habitants, Loiret), qui privilégie la variété des titres plutôt que les quantités.
Un lien particulier avec les clients
Cela n’empêche pas les libraires ruraux de vendre leurs coups de cœur. "Plus d’une vente sur deux est faite sur conseil, et particulièrement en jeunesse", souligne Pauline Fouillet, de Livres et vous, à Ruffec (3 400 habitants, Charente). Une performance qui peut approcher les 90% dans certains points de vente, comme à Rocheservière, où Christel Rafstedt a pu écouler plus de 100 exemplaires de Ma reine de Jean-Baptiste Andrea (L’Iconoclaste). "Si nous sommes autant prescripteurs, c’est que nous parvenons à établir un lien particulier avec nos clients, fondé sur la confiance et la connaissance. A la campagne, la librairie remplit pleinement son rôle de commerce de proximité et de lieu de vie, où les gens viennent autant nous rendre visite et discuter qu’acheter des livres", témoigne Christel Rafstedt.
Pour les libraires, ces missions sociales aux enjeux politiques mériteraient sans doute un soutien plus poussé des institutions et des fournisseurs. "Nos remises ne récompensent pas le fait que nous assurons, sur tous ces territoires parfois chichement pourvus, la présence du livre physique et surtout la bibliodiversité", martèle Christel Rafstedt, qui soutient activement le principe de remise unique défendu par le SLF.