"Jusqu’à présent, je n’aimais pas la campagne anglaise, trop policée. J’ai toujours préféré l’aventure, les voyages, vivre à l’étranger. Mais là, pour la première fois, je viens de m’installer dans un village du Worcestershire. Tout près de Stratford-upon-Avon. C’est là que j’ai écrit Moisson, en six mois", dit Jim Crace, en réfutant avec humour toute idée d’un "embourgeoisement". Notre homme, qui a quitté son pays en 1968 pour partir au Soudan dans le Voluntary Service Overseas et n’a jamais eu de job fixe - il a travaillé dans des services éducatifs, notamment pour la BBC, été journaliste free-lance -, demeure un "voyou" issu de la working class, qui ne fréquente pas l’establishment londonien, ni les journalistes, ni les autres écrivains. "A l’exception de David Lodge, un ami. Nous avons été voisins à Birmingham."
En 1987, suite à un problème avec le Sunday Times qui avait refusé de publier son article sur l’assassinat à Tottenham, par la police, d’une femme indo-anglaise, Jim Crace s’est lancé dans l’écriture de romans. De Continent à De visu, neuf sont parus en français, dont son plus célèbre jusqu’ici, Quarantaine (Denoël, 1998), où il réécrivait simplement la Bible !
Parfaitement heureux
Ce qui frappe dans l’œuvre de Crace, c’est sa richesse, sa diversité d’inspiration et de genres. Le dernier, Moisson, flirtant même avec la fantasy. "Mes livres, reconnaît l’écrivain, sont tous différents, sauf stylistiquement, parce que je ne suis pas un auteur qui raconte sa vie. La littérature aime le malheur, et moi je suis parfaitement heureux en tout, alors je n’écrirai jamais sur moi." Il a bien essayé, il y a deux ans, de raconter l’histoire de ses parents. Achevé, il a fait lire le texte à son agent, qui l’a fermement dissuadé de le publier. "C’était un échec absolu. J’ai failli arrêter d’écrire. Et puis, l’inspiration est revenue, peut-être grâce à la Forest of Arden, ce paysage fantastique, shakespearien, où j’habite maintenant. Au fond, tous mes livres sont dans la grande tradition lyrique anglaise."
Moisson, particulièrement, qui se situe dans un Moyen Age fantasmé, l’histoire d’un vaste domaine agricole, celui de Maître Kent, qui va devoir être cédé à son cousin Edmund, lequel va tout bouleverser en voulant y implanter des moutons. De nombreux drames vont s’ensuivre, racontés par Walter Thirsk, un vieux compagnon du hobereau déchu. Paru en 2013 chez Picador, Harvest a rencontré un beau succès en Grande-Bretagne : 80 000 exemplaires vendus et de nombreuses traductions en cours. "C’est fou !" commente Crace, ravi, qui a envoyé son manuscrit avorté à l’université du Texas - qui lui achète ses archives -, et songe déjà à trois prochains romans.
Jean-Claude Perrier
Jim Crace, Moisson, Rivages. Traduit de l’anglais par Laetitia Devaux. Tirage : 10 000 ex. Prix : 20 euros, 267 p. ISBN : 978-2-7436-2899-4. Sortie : 1er octobre.