L'accouchement incarne toujours un chamboulement pour les femmes, mais qu'en est-il des hommes ? Qu'est-ce que cet événement majeur remue en eux ? Père de deux garçons - à qui il dédie ce roman -, Joachim Schnerf a voulu se pencher sur cette émotion particulière. Il la saisit à un moment charnière : la veille du retour à la maison de la mère et du bébé. Un entre-deux nocturne, où Samuel, le narrateur, prend pleinement conscience de cette nouvelle réalité exaltante et angoissante. « Comme si je n'étais pas prêt à me dire : je suis père. Père, la simple pensée de ce mot me fige. » Car jusque-là, il s'inscrivait comme fils et petit-fils d'une lignée. À lui désormais de la prolonger, mais comment ne pas s'encombrer de la tragédie qui a brisé les siens ? Impossible d'y échapper, on porte forcément en soi le poids de « l'histoire des membres de nos familles marquée par l'encre de douleur ». Ainsi, la Shoah poursuit son impact sur les générations suivantes, y compris celle qui n'aura plus accès aux témoins directs de la tragédie. Samuel, lui, a absorbé inconsciemment ce passé.
« C'est le silence qui a semé en moi toutes ces névroses, par les atrocités de l'histoire. » Celle-ci prend le visage de Rosa, sa grand-tante qui a fui de l'autre côté de l'Atlantique pour faire table rase de son expérience traumatique. Elle, dont la « vie est un kaddish perpétuel », est la dernière survivante d'Auschwitz. Contrairement à Samuel, elle n'a jamais voulu enfanter, mais elle possède le même souci mémoriel. Cette Texane originale a créé un cabaret burlesque où elle exprime son récit poignant. Est-ce qu'on peut « chanter la Shoah, la danser, la mimer, la fictionnaliser, en rire ? » Rien de tel que le prisme du roman et de l'enfance pour réussir ce pari à la Roberto Benigni. À l'heure où le narrateur se tourne vers l'avenir, il se revoit petit garçon lancé dans une aventure imaginaire pour retrouver le fameux cabaret de Rosa. « Je veux tout transmettre à mon enfant. » Un souci qu'on retrouvait déjà dans Cette nuit, prix Orange du livre. Éditeur de littérature étrangère chez Grasset, Joachim Schnerf creuse le sillon de la transmission avec humour, tendresse et imagination. « Quand demain reviendra la lumière, nous serons une famille. » Mais avant cela, il faut affronter ses ténèbres...
Le cabaret des mémoires
Grasset
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 15 € ; 140 p.
ISBN: 9782246828921