Avant-critique Roman

John Boyne, "La vie en fuite" (JC Lattès)

John Boyne - Photo © Rich Gilligan

John Boyne, "La vie en fuite" (JC Lattès)

Dans La vie en fuite, suite du best-seller Le garçon en pyjama rayé, John Boyne livre le portrait de descendants de bourreaux de la Shoah. Un roman d'une efficacité redoutable.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 07.04.2023 à 09h00

Culpabilité réfrénée. Il arrive parfois qu'un roman ou un film vous assène une telle claque qu'on ne peut jamais l'oublier. Ce fut clairement le cas avec Le garçon en pyjama rayé, un premier roman jeunesse écoulé à plus de six millions d'exemplaires. Explorant à hauteur d'enfant la cruauté de la Shoah, il opposait la barbarie des hommes à la force de l'amitié. Celle-ci semblait d'autant plus incroyable qu'elle unissait un bambin juif prisonnier d'un camp de concentration au petit garçon de son directeur nazi. Cette fable humaniste qui se terminait par une tragédie a tellement hanté son auteur, John Boyne (sur le podium du Palmarès des libraires de Livres Hebdo 2018 pour Les fureurs invisibles), qu'elle ne pouvait pas rester sans suite. L'écrivain irlandais étant lui-même né sur une terre de guerre, il souhaitait aller au-delà de la dichotomie du bien et du mal, des méchants et des gentils. Car il existe des victimes collatérales à tous ces conflits. Gretel en fait partie. « Je préfère ne pas vivre dans le passé, » dit-elle. Il la poursuit pourtant où qu'elle aille dans le monde. Petite fille, elle a grandi dans un lieu très particulier, nommé « L'Autre Endroit ». Un îlot au milieu d'un cauchemar qui marquera à jamais l'Histoire. Une maison où il faisait bon vivre avec ses parents et son petit frère. Alors que ce dernier était l'un des héros du best-seller de John Boyne, c'est Gretel qui prend les rênes de La vie en fuite. Un titre qui correspond parfaitement à sa situation car dès l'adolescence, Gretel est obligée de quitter la Pologne avec sa mère. Pour ces deux Allemandes, l'existence a basculé après la guerre. La honte chevillée au corps, elles savent qu'elles incarnent l'ennemi à abattre. « Pour moi, la guerre durait toujours, et ma culpabilité n'était jamais loin. » Or comment en vouloir à une enfant de 15 ans ? Consciente de la gravité qui l'entoure, Gretel se pare de silence. « Je voulais survivre, j'allais être obligée de mentir sur tout, tous les jours jusqu'à la fin de ma vie. » Direction Paris, où la mère et la fille espèrent se construire une nouvelle identité. La peur les étouffe. Gretel pense que l'amour la sauvera, mais comment être la fille d'un bourreau nazi ? « Quel monde avions-nous créé, des familles comme la mienne ? Tous ceux qui étaient là-bas, d'un côté ou de l'autre de la clôture, n'oublieraient jamais. » Même son exil en Australie ne suffit pas à effacer ce passé aux millions de victimes. C'est finalement à Londres que l'héroïne pose ses valises.

Oscillant entre l'après-guerre et l'an 2020, ce roman d'une efficacité remarquable suit également la vieille dame qu'elle est devenue. Il va suffire d'un grain de sable pour que son quotidien confortable explose. Installée dans une résidence de luxe, Gretel ne peut plus échapper à elle-même lorsqu'elle est confrontée à de nouveaux voisins. Cette fois, la violence a pour visage le petit Henri qui lui rappelle étrangement son frère. « J'ai consacré une vie entière à essayer de me convaincre que je suis innocente de tout le mal. » Sa vie, bâtie sur un terrible secret, nous renvoie à la complexité du mal et de l'humanité, laquelle espère toujours tout réparer.

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