Avant-critique Roman

Jonas Karlsson, "Le cirque" (Actes Sud) : Un petit tour et puis s'en va

Jonas Karlsson - Photo © Appendix Fotografi

Jonas Karlsson, "Le cirque" (Actes Sud) : Un petit tour et puis s'en va

En disciple de Kafka, Jonas Karlsson place ses personnages et son lecteur face à l'absurdité d'un quotidien répétitif qui, soudain, se dérègle.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 07.11.2022 à 14h00 ,
Mis à jour le 14.11.2022 à 11h25

Magnus Gabrielsson est le genre d'ami d'enfance qu'on continue de voir, une fois l'an, par habitude plus que par envie. D'autant que ses goûts musicaux ne sont pas tout à fait raccord avec ceux de son ami, le narrateur de ce récit. Cette année, Magnus lui propose une sortie au cirque. L'ami hésite avant de saisir l'opportunité d'éviter le sempiternel et gênant tête-à-tête. « J'ai tout de suite regretté d'être venu car, à peine arrivé au cirque, j'ai commencé à chantonner Love and Marriage de Frank Sinatra, et chaque fois que j'ai cette chanson en tête, je sais que ça va mal tourner. » Quand Mister Magic Bobbi annonce qu'il va faire disparaître une personne du public, Magnus est le seul à se porter volontaire... et disparaît effectivement, pour ne plus reparaître. « Je n'avais pas l'intention d'appeler Magnus pour lui demander où il était passé. Je trouvais mal élevé de disparaître comme ça, quand on avait décidé de faire quelque chose ensemble. » Sa ligne téléphonique est d'ailleurs occupée. Vexé par ce silence, le narrateur décide de faire le pied de grue dans le 7-Eleven faisant face à l'immeuble où vit Magnus. Personne. Et s'il était vraiment arrivé malheur à Magnus ? Et si, comme le prétend un de leurs amis, Magnus l'avait invité au cirque pour lui faire passer « une sorte de message » ?

Suite à cette disparition mystérieuse, le narrateur plonge dans leurs souvenirs communs : l'école, dont ils étaient les souffre-douleur, la musique pour refuge, les après-midi à écouter des disques. Et le pin's que Magnus portait sur la poche de sa poitrine : Live hard and die young. « C'était si tarte d'avoir ce pin's. Car tout le monde savait [...] que s'il y avait bien quelque chose que Magnus ne faisait pas, c'était de vivre fort. Il ne buvait pas, ne fumait pas, montait à peine à mobylette. » Et s'il s'était agi d'un autre message que son ami n'avait su voir ?

Après La facture, La pièce et L'ami parfait (Actes Sud, 2015, 2016 et 2018), l'écrivain et acteur suédois Jonas Karlsson livre une nouvelle pépite tendre et loufoque dont il a le secret. Il excelle dans l'art de mener son lecteur par le bout du nez, et celui-ci, immergé dans l'esprit et le quotidien du narrateur, en vient à douter de ce qui, au premier abord, paraissait évident. Karlsson nous invite ainsi à remettre en cause nos certitudes à l'égard d'un monde que l'on ne perçoit jamais qu'à l'aune d'un prisme individuel.

Jonas Karlsson
Le cirque (Traduit du suédois par Rémi Cassaigne)
Actes Sud
Tirage : 4 000 ex.
Prix : 20 € ; 192 p.
ISBN : 9782330171940

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