Mon ombre est personne. La reconstitution vire au fiasco et la peur exsude. Bénéficiant de la complicité d'un anonyme copycat baptisé « l'Autre », le dangereux malade Tom Kerr met les voiles. Forcément, ça se gâte pour William Wisting, le chef de la brigade criminelle de Larvik, à la pointe sud de l'Oslofjord, pour situer le sylvestre décor, joliment enclavé entre plusieurs réserves naturelles, avec mers et montagnes en guise de dépendances concomitantes. Une carte postale, quasiment ! Là où tout va si bien que même les esprits les plus dérangés s'affranchissent des supportables limites. Tom Kerr est donc libre, libre d'afficher d'autres jeunes filles à son tableau de répugnant chasseur. Accusé de « négligences professionnelles », tenu de fait pour responsable de l'évasion et entravé par la présence sur l'enquête de Line, sa fille, journaliste de surcroît, Wisting garde tant bien que mal le cap. À partir de fragments éparpillés, il lui faut reconstruire une vérité, voire plusieurs. Et ce n'est pas une sinécure. D'autant que, pour de vieilles rancœurs liées à de précédentes affaires (notons à ce propos la réédition simultanée, en « Folio policier » et sous de nouvelles couvertures, des investigations antérieures de William Wisting, dont l'indispensable Les chiens de chasse), l'Inspection générale des services de police jugule son cheminement sur les pistes envisagées. L'ambiance coercitive s'épaissit et la température monte doucement mais sûrement. Solide comme un roc, droit face aux éléments, Wisting s'accroche à sa mission. La culpabilité qu'on lui attribue le mine et le motive à la fois, donnant à l'auteur une occasion renouvelée de démontrer ses aptitudes irréfragables pour enchevêtrer les sentiments, souvent contradictoires, au centre d'un récit costaud et prenant.
Décortiquer le psychopathe et son double pour mieux les appréhender, aux deux sens du terme, « saisir », que ce soit physiquement ou par l'entendement, c'est ce qui guide Wisting et ses intuitions. Mais les événements s'immiscent jusque sous ses fenêtres et celles des autres équipes impliquées dans la traque. Nous n'en dévoilerons pas plus, laissant les ombres se dissiper à leur rythme et invitant tout amateur de polar à la fois classique et impeccablement construit à prendre le sillage du meurtrier bicéphale. Si son titre français, Le mal en personne, peut sembler un frontispice un brin bateau (l'original et norvégien Illvilje oscille entre « Malice », « Malignité » et « Mauvaise volonté »), le livre lui n'a rien d'anodin. Pas de clichés, pas de noirceurs éculées, pas de flic borderline chez Jørn Lier Horst, mais des cerveaux aguerris et concentrés dont nous suivons la réflexion. Témoins, suspects, victimes, tous les protagonistes passent au scanner d'explorations quasi chirurgicales. Ils sont légion, tous plus ou moins fissurés, à pouvoir prétendre aux mauvais rôles. Les investigations, menées de front par le père et la fille, tergiversent d'un profil interlope à un autre, portées par une écriture souple et minutieuse, entre « théâtre de la cruauté » et rapports documentés de psychiatrie médico-légale. Faire du propre avec du sale : tout un art.
Le mal en personne
Gallimard
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 20 € ; 390 p.
ISBN: 9782072866005