La France a porté haut les couleurs de la Révolution, elle a voulu que sa belle devise fût partagée universellement. Bonaparte devenu Napoléon a imposé sa vision à l'Europe, Hegel ne s'y trompa pas qui vit dans la figure du César corse l'incarnation même du sens de l'Histoire : la liberté. Demeure la question de savoir si l'on doit distinguer l'homme de l'œuvre, si la fin justifie les moyens... « Psychologiser l'Histoire est un sacrilège », avoue le narrateur d'Au loin le ciel du Sud de Joseph Andras, récit sur le patriote et révolutionnaire vietnamien Hô Chí Minh (1890-1969), avant qu'il ne devienne sous ce nom l'icône de la réunification du Viêt-Nam sous la bannière rouge à étoile jaune. Et pourtant... « L'infrastructure ne gomme pas la viande, ni le social l'homme profond. Tenir ensemble le mode de production et les actes manqués te paraît tambouille à y tremper ta plume. » Ici, les archives parlent avec un souffle romanesque et les blancs bruissent de questionnements avec non moins d'écriture, ce style qui est l'hommage que la littérature rend à la vérité.
La République, de retour, a chassé l'empereur - Napoléon III, neveu du premier - en gardant l'Empire. En Indochine, colonie d'Extrême-Orient, dont fait partie le Viêt-Nam, on enseigne aux petits autochtones les valeurs de 1789 tout en les spoliant de la terre de leurs ancêtres et en envoyant leurs pères au front. En 1919, à l'heure où se négociait la paix à Versailles, un collectif d'Annamites - ainsi étaient dénommés les Vietnamiens - demande au colonisateur que « le Noble Peuple français » (sic) avec son idéal de fraternité universelle accorde aux indigènes quelques libertés, que des élus parmi les leurs aient une délégation permanente au Parlement français. Dans le collectif, il y a Nguyên Ái Quôc (Nguyên « le patriote »), futur Hô Chí Minh... Le livre d'Andras retrace le parcours fascinant de cette figure de la Révolution, reconstituant ses faits et gestes à Paris dans les années 1920, au Congrès de Tours lors de la création du PCF, en tant que retoucheur photo dans le quartier des Gobelins, activiste de l'ombre fliqué, inlassable combattant de la cause... avant que la réalité du pouvoir (allié du stalinisme) ne ternisse la flamme. Quoique... Elle brûle encore, la flamme, et avec des accents rimbaldiens, pour l'écrivain dont l'encre se mêle au sang des héros et aux cendres des vaincus. Dans Ainsi nous leur faisons la guerre, triptyque avec un chien à Londres, un singe à Riverside et une vache à Charleville-Mézières à diverses époques, c'est là le schème de la domination de l'humain sur l'animal qu'interroge Joseph Andras avec certaine ironie. Résister n'empêche pas le sourire.
Au loin le ciel du Sud
Actes Sud
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 9,80 € ; 112 p.
ISBN: 9782330149055
Ainsi nous leur faisons la guerre
Actes Sud
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 9,80 € ; 96 p.
ISBN: 9782330149017