Sur son lit de mort l'athée défie l'homme de foi qui tente de le convertir : « Voudrais-tu que j'adoptasse les rêveries de Confucius plutôt que les absurdités de Brahma ? Adorerais-je le grand serpent des nègres, l'astre des Péruviens, ou le dieu des armées de Moïse ? À laquelle des sectes de Moïse voudrais-tu que je me rendisse ? Ou quelle hérésie de chrétien serait selon toi préférable ? » dans le Dialogue du prêtre et du moribond, écrit en prison en 1782 (publié seulement en 1926 !) le marquis de Sade expose sa vision libertine du monde - « libertin » ici est au sens classique de « libre-penseur ».
À l'instar de ses contemporains, les philosophes matérialistes du siècle des Lumières, l'auteur de Justine, ou les malheurs de la vertu pense qu'il n'y a rien au-delà de la matière, cette chair de quoi l'humain est fait et dont il peut jouir sans vergogne ni relâche, sans crainte d'une punition divine. Le ciel est vide. Le bien et le mal, s'il faut bien donner un nom aux choses, varient selon les mœurs des sociétés. L'homme est aux prises avec l'arbitraire de son prochain. Le marquis devance l'intuition de Dostoïevski : si Dieu n'existe pas, tout est permis. Or pour Sade, Il n'existe pas. La « Nature », ou quelque volonté supérieure, qu'elle soit assimilée à l' « horloger » de Voltaire ou à l'Être suprême des révolutionnaires, ne saurait s'y substituer. Sade se délecte du blasphème, il se masturbe dans un calice, profane tout objet de révérence, honore les femmes comme les hommes, le sexe n'a pas de sexe, rien n'est contre-nature dans ce que la nature nous donne. Jouisseur mais pas assassin, Sade (« Sade est victime du sadisme », néologisme du XIXe siècle pour décrire une cruauté sans bornes). Les tribunaux de l'Ancien Régime le traitent pourtant comme tel. Dans l'affaire de Marseille, où une femme l'accuse d'empoisonnement, il est condamné au billot. Sont finalement retenus contre lui les faits de débauche et de pédérastie. Sade sera souvent incarcéré : donjon de Vincennes, asile de Charenton, la Bastille, bien sûr. L'un des rares détenus de l'emblématique prison rallie la Révolution. Mais le secrétaire de la section des Piques goûte peu la Vertu coercitive des sans-culottes.
A travers Et je vous offre le néant, Gérard Macé relit Sade en riant car il ne faudrait pas prendre ses hyperboles sexuelles pour des descriptions réalistes, et restitue un subtil portrait de cet « indécrottable mécréant », révolutionnaire, en ce qu'il préfigurerait le Surhomme nietzschéen. Sade, un Zarathoustra ithyphallique, en somme.
Et je vous offre le néant
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 19 euros ; 144 p.
ISBN: 9782072854477