« L'existence de ce texte nous a été révélée par hasard », précise son éditeur, Le Tripode, en avertissement, au début du premier livre de Sophia de Séguin, extrait de son journal intime. On ne peut donc pas soupçonner l'auteure de l'avoir écrit pour nous. L'effet de spontanéité sans filtre qu'il dégage, sa tenue littéraire n'en sont que plus frappants. Cette chronique sentimentale et crue d'une séparation qui court sur dix-neuf mois a été écrite il y a neuf ans. Son auteure avait 25 ans. Adrien et elle, en couple depuis cinq ans, viennent de se quitter. La jeune femme, qui se souviendra plus tard avoir été avec lui « une très cruelle amoureuse », semble porter la responsabilité de la rupture. Assumer puis regretter, puis se résigner à nouveau puis regretter, se justifier, s'auto-convaincre, espérer puis ruer, s'accabler. Le journal consigne ces mouvements contradictoires. Cette lutte moins contre lui que contre elle-même, contre ses « désirs, impulsions aussi brusques qu'insensées ».

L'écriture introspective accueille cette « obstination orgueilleuse », ce dépit, cette forme de chagrin en colère prompt à voir partout la « bêtise » des gens, des situations, des sentiments. Cet orgueil qui la tient et qui apparaît plus sûrement comme une vanité, une position sur la corde, sans filet, entre morgue et vide dont elle n'est jamais dupe. Adrien lui manque. Son corps, surtout. Elle le dit, de façon très directe et triviale. Mais son manque n'est pas nostalgie énamourée. Sa lucidité dépèce. Ce « petit con d'Adrien », « conservateur type XIX^e siècle, sensible à la représentation », en prend pour son grade. Il n'est pas le seul. Puis avec le temps, l'obsession prend une autre forme : une prostration calme accablée par la certitude de l'indifférence qui vient. Et un acharnement paradoxal à aimer toujours, à aimer pour toujours. Même et surtout si l'autre ne vous aime pas ou plus. « Peut-être suis-je seulement, bêtement, très romantique. » Quoi qu'il en soit, c'est l'« exigence de vérité toute nue » dont ce journal conserve la trace.

Dans l'avertissement encore, on peut lire que l'auteure a consenti à cette publication « précisant toutefois que ces pensées étaient partiales et, désormais, d'un autre monde ». Dans son monde d'aujourd'hui, Sophia de Séguin, formée au numérique à l'Ecole 42, a entre autres participé à la création par Le Tripode de l'application littéraire et artistique L'Ovni.