Roman, romans. « Un jour, il faudra que je m'interroge sur les raisons pour lesquelles j'aime tant les fictions qui peuvent se lire comme une métaphore de la fiction. » C'est peut-être aussi parce qu'il se pose de telles questions, qui sont autant celles d'un écrivain que d'un lecteur, que le Colombien Juan Gabriel Vásquez est unanimement considéré comme l'un des très grands romanciers de ce temps, auteur d'une œuvre où les tensions des temps côtoient celles des individus, où le souffle tragique de l'Histoire bouscule les vies des hommes et des femmes. Soit, mais -Vásquez sait depuis toujours que ce qui se conçoit bien et s'énonce clairement procède d'abord de l'élucidation du réel. Le roman, donc. Puisqu'après tout, « la fiction est indissociable d'une certaine éthique de l'ambiguïté dans une époque qui regorge de petits fondamentalismes. »
En octobre 2022, Vásquez a mis ses pas dans ceux de l'un de ses maîtres, Javier Marías (qu'il évoque dans ce présent volume), à l'université d'Oxford, pour une série de quatre conférences autour de l'art du roman. Ce sont celles-ci, -brillantes, passionnantes, qui paraissent aujourd'hui sous le titre La traduction du monde, allusion à la phrase célèbre de Proust selon laquelle « le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux d'un traducteur ». Le Colombien place sa réflexion à l'épicentre de ceux qui l'ont précédé dans cette idée que tout roman est nécessairement une démonstration de son impossibilité même ou au moins de son effacement, du Quichotte ou de -Robinson Crusoé jusqu'à nos jours, Sebald, Cercas ou Carrère... Et pourtant, Vásquez assigne tout de même au roman la plus noble des places. « Je ne peux me défaire de l'idée, fausse ou réelle, qu'il existe un lien direct entre la place occupée par la fiction dans une société et la bonne santé de sa -démocratie. » Simplement, il constate que cette intercession ne peut avoir lieu hors du champ d'une réflexion nourrie et grave sur la responsabilité morale, c'est-à-dire d'abord stylistique, du romancier. Tant il est vrai que « l'écriture d'un roman est avant tout la découverte de sa forme ». En cette époque qui en attendant les barbares tend à confondre le bon grain de la littérature avec l'ivraie de l'information, ces pages puissantes doivent d'abord être lues comme un acte de foi. Le roman est mort, vive le roman !
La traduction du monde
Seuil
Traduit de l’espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon
Tirage: 1 800 ex.
Prix: 20,50 € ; 160 p.
ISBN: 9782021561517