Kate Wilson savait taper à la machine. C’est ainsi que l’éditrice née à Edimbourg il y a cinquante ans, première de sa famille à faire des études universitaires (à Oxford), a commencé dans l’édition comme stagiaire chez Cannongate, l’unique éditeur d’Edimbourg à l’époque. Elle intègre ensuite le service des droits de Faber and Faber. "J’ai adoré les droits parce qu’on y est plus autonome et plus rapide. J’ai négocié avec des gens intelligents, plus âgés et plus expérimentés que je ne l’étais", raconte-t-elle, rendant hommage à Neil Porter, responsable des droits de Walker Books, qui "lui a appris la coédition et à vendre les films". En 1989, elle continue chez Egmont, avec " Winnie the pooh et beaucoup de fictions" avant de diriger le service en 1994, faisant passer le chiffre d’affaires de "trois millions de livres sterling à quinze ou seize millions", note-t-elle. En 2004, elle prend la tête de la branche britannique de l’américain Scholastic, un "modèle économique intéressant" avec des clubs et des bibliothèques dans les écoles. "Dick Robinson reste mon éditeur préféré, il a changé le métier car il a toujours de nouvelles idées, souligne-t-elle. La structure était très éclatée avec l’éditorial à Londres et la distribution dans quatre lieux majeurs, sans compter les petits entrepôts. Je ne voyais pas beaucoup mes deux filles qui étaient petites."
En 2009, elle fait un passage éclair de cinq mois chez Hachette UK en littérature adulte mais elle reconnaît qu’elle ne "devai[t] pas correspondre à ce qu’ils attendaient". Licenciée un vendredi, elle décide le week-end de fonder sa maison "in the basement". "Mon mari, qui a travaillé pour MacMillan, est toujours d’un grand soutien, mais mes filles m’ont demandé quand j’allais avoir un vrai travail", raconte-t-elle. La semaine suivante, elle part à Francfort, bâtit un business plan avec Dick Robinson et Andrew Franklin (Profile Books), trouve des investisseurs (dont l’éditrice et auteure Camille Reed) et… un nom, grâce à son frère, "avec un animal pour concevoir le logo, parce que Walker a un ours, Orchard un arbre, et Penguin un pingouin". Ce sera Nosy Crow (la corneille curieuse), que l’illustrateur Axel Scheffler dessine.
Perfectionniste et créative
"Chaque jour, j’oscille entre la peur - mais c’est un bon moteur - et la confiance. Dès le départ, j’avais en tête de publier à la fois des livres et des applications parce que l’iPad venait d’être commercialisé", commente-t-elle. En avril 2010, elle part à Bologne montrer la première scène de l’application Les trois petits cochons, qui sort en février 2011 avec les trois premiers titres de la maison. Sa carrière et son réseau lui ouvrent des portes. Elle connaît depuis vingt ans Christine Baker et Hedwige Pasquet, chez Gallimard Jeunesse, et Klaus Humann chez Carlsen, qui coéditent les applications, avec lesquels elle partage "un goût, une vision, une esthétique". A New York, à l’automne 2011, Karen Lotz, de Candlewick (filiale de Walker Books) lui ouvre les Etats-Unis et le Canada.
"Kate a une extraordinaire énergie et va sur tous les fronts, la création, l’éditorial, le commercial, la communication, le numérique", raconte Hedwige Pasquet, directrice de Gallimard Jeunesse. Kate Wilson a d’ailleurs acquis auprès d’elle deux "imagiers sonores" de Marion Billet. "Elle est à la fois perfectionniste et très créative", confirme Chantal Janisson, éditrice de Gründ Jeunesse, qui avoue que c’est son "rendez-vous préféré à Bologne ou à Francfort". Ne ménageant pas ses efforts, Kate Wilson intervient sur le numérique à Londres, à Bologne et à Montreuil. Engagée, elle publie pour les réfugiés (Refuge, un album pour Noël dont les ventes iront aux enfants réfugiés) et connaît le nom de tous les enfants qui lui écrivent "par mail, sur Twitter ou sur Facebook", notamment Inès, malade, dont la mère a tourné une vidéo pour dire combien l’une des apps Nosy Crow avait été importante pour sa fille. Résultat, Nosy Crow, qui vient de remporter l’appel d’offres des livres pour enfants du British Museum, est une success story. De 23 titres en 2011, la maison est passée à 74 en 2015, avec une "petite équipe réactive" de 23 personnes, réalisant un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros, en progression de 42 %. Avec 14 applications au catalogue, elle regrette cependant que "certains éditeurs aient laissé tomber et n’aient pas créé le marché du numérique". Mais elle est fière d’avoir construit une marque aussi rapidement et s’est fait une place parmi les dix éditeurs d’albums de jeunesse britanniques.