Le pays effacé. La RDA, c'est comme un jouet moche, la rote Fassbrause à l'improbable saveur de framboise ou la Trabant au bruit de crécelle. Elle a gardé pour certains le goût de l'enfance. En Allemagne, on appelle cela l'« ostalgie », la nostalgie de l'Est. Car pendant quarante ans, ce pays a façonné et bâillonné quelques millions d'Allemands dont quelques-uns -préfèrent aujourd'hui se rappeler le goût des concombres du Spreewald plutôt que les intrusions de la Stasi.

Née en RDA quatre ans avant la chute du Mur, chercheuse au King's College de Londres depuis 2010, Katja Hoyer était toute désignée pour se lancer dans un essai sur l'histoire singulière de ce pays. D'autant qu'elle la raconte vue d'en bas, à travers ceux qui l'ont vécue. Son travail a été fort bien accueilli en Angleterre, un peu moins en Allemagne, mais avec un même succès en librairie. Dans son pays natal, des historiens lui ont reproché de séparer la vie quotidienne de la dictature, tout en reconnaissant que cette approche globale était difficile, voire impossible. Effectivement, l'ouvrage pourra décevoir les lecteurs cherchant une analyse plus structurelle. Mais c'est pourtant ce défaut, si c'en est un, qui rend la lecture d'Au-delà du mur captivante.

Interviews, lettres et archives montrent un quotidien grisâtre qui laissait malgré tout un peu de place aux rêves. Au milieu des années 1980, les citoyens des pays satellites de l'URSS découvraient à Berlin Est une sorte d'opulence au regard de la pénurie qui sévissait chez eux. Son récit n'est donc pas que celui d'une oppression. C'est pourquoi, outre-Rhin, certains ont employé le terme de « révisionnisme historique ». Katja Hoyer n'embellit pas la réalité d'une dictature, elle l'observe à travers le ressenti d'une partie de la population, à travers l'emploi, la place des femmes, le logement, la solidarité, les loisirs. L'histoire de la RDA ne se résume pas à une histoire du SED (le parti communiste au pouvoir) et de la Stasi. « Tel un enfant jamais sorti des terreurs nocturnes de son enfance, la RDA ne cessa jamais de regarder sous son lit pour voir si un monstre ne s'y était pas caché. » Et souvent, c'était le cas. D'une certaine façon, ce livre jette un pont entre La vie des autres et Good Bye Lenin!, deux films marquants et de nature très différente sur cette période.

Ce livre touche une corde sensible au-delà des grilles de lecture manichéennes (d'un côté, le normal, la RFA, de l'autre, le pathologique, la RDA). Ces deux pays côte à côte ont évolué différemment de 1949 à 1990 et comme le modèle social commun actuel n'apparaît pas comme la panacée, l'idéalisation d'un modèle ancien vient conforter cette « ostalgie » Sans être dupe des dirigeants de la RDA, Katja Hoyer redonne un peu de couleurs et de vie à ce pays disparu. Le baisser de rideau de fer n'a pas englouti les souvenirs, parfois enjolivés, de la boutique. La visite qu'elle propose est subjective. Il n'en demeure pas moins qu'il fallait du courage pour dire ces années tragiques où le bonheur s'invitait parfois en catimini.