Livres Hebdo: Quel sentiment avez-vous éprouvé à la proclamation du prix Femina étranger?
Kerry Hudson: Figurer dans la sélection était déjà un honneur. Alors, gagner un grand prix littéraire français est un rêve pour moi qui n’avais jamais pensé pouvoir écrire ni être publiée. J’ai l’impression que ce sont les "Hunger games" de la littérature: seuls deux ou trois survivent. Mais je suis ravie car cela signifie que le jury a choisi d’entendre les voix de ceux qui ne s’expriment pas habituellement.
Les personnages de La couleur de l’eau sont pauvres, menacés, bousculés par les événements, toujours sur le fil du rasoir.
On croise tout le temps des gens qui se cachent et n’ont nulle part où aller. Pourtant ce sont des êtres humains, avec des rêves, des désirs, des sentiments. Je viens de la classe ouvrière, je voulais écrire sur eux. Ils vivent des drames, des conflits, font des choix, franchissent des obstacles… Autant de péripéties qui font la matière d’un roman. Je voulais aussi montrer cet état de fragilité et de vulnérabilité quand on est amoureux: ils s’aiment mais ils sont terrifiés.
Les femmes sont au cœur de vos romans. Alena affronte des mafieux russes, qui font du trafic sexuel et la traitent en esclave.
Je m’intéresse à ce que c’est qu’être une femme, selon le contexte, le pays. Je voulais dénoncer ce qui arrive aux femmes abusées sexuellement. Comment peuvent-elles aimer ou avoir une vie sexuelle? Je me suis documentée, j’ai lu beaucoup de témoignages, vu des cartes sur les trafics humains. J'ai situé mon histoire à Hackney, un quartier très multiculturel de Londres, où je vivais à l'époque, au-dessus d’un kebab, comme dans le livre. Mon troisième roman, dont j’ai envoyé le premier jet hier soir à mon agente Juliet Pickering, raconte aussi la vie d’une femme ordinaire, professeure, qui voyage beaucoup, jusqu’en Palestine et en Asie, et qui se retrouve la proie des tabloïds.
Comment êtes-vous venue à l’écriture?
Je travaillais pour une association humanitaire. Et un jour, je me suis lancée dans l'écriture de nouvelles. J'ai gagné un prix avec l'une d'entre elles. Juliet Pickering m’a contactée et je lui ai promis de lui envoyer mon roman quand il serait terminé. C’était Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman, qui a été publié par Chatto & Windus en Grande-Bretagne et par Philippe Rey en France.
Quel rapport entretenez-vous avec les librairies et les bibliothèques?
Le prix fixe a protégé vos librairies, ce qui n’est pas le cas au Royaume-Uni. Mon goût va vers les librairies indépendantes (c’est difficile de n’en citer qu’une parce que les autres vont être fâchées, mais j’aime Foyles) parce qu’elles se démènent pour organiser des événements, qui sont toujours pour un auteur l’occasion de rencontrer ses lecteurs. Pour cette raison, j’apprécie le Festival d’Edimbourg, où j’ai rencontré mon idole, l’écrivaine Janice Galloway, et la bibliothèque des femmes à Glasgow (Glasgow women Library).