Kim Hye-jin, "À propos de ma fille" (Gallimard) : Une très légère oscillation

KIM Hye-Jin - Photo © Minumsa

Kim Hye-jin, "À propos de ma fille" (Gallimard) : Une très légère oscillation

À travers le regard d'une mère contrariée par les choix de sa fille, l'écrivaine coréenne Kim Hye-jin livre une prodigieuse radiographie de nos sociétés contemporaines et de nos aspirations à vivre libres.

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Par Lætitia Favro
Créé le 19.04.2022 à 16h00

À 30 ans, Green n'est pas mariée, n'a pas d'enfant, occupe un emploi précaire qui ne lui permet plus de payer son loyer. À contrecœur, elle retourne vivre chez sa mère qui l'accueille sans chaleur. D'autant que Green ne revient pas seule dans la maison qui l'a vue grandir, une maison en périphérie de Séoul, « qui s'affaisse lentement à l'image de sa propriétaire aux articulations usées, aux os grinçants ». Comme son titre, À propos de ma fille, le suggère, cette histoire est perçue depuis le point de vue de la mère, prise dans un questionnement, un sentiment de culpabilité sans fin. « Dès que je commence à penser à ma fille, je reste engluée dans mes réflexions. Suis-je en train d'être punie ? Ai-je transmis à ma fille un mauvais sort ? » Conformément au schéma traditionnel, elle rêvait pour son unique enfant de réussite sociale, d'un beau mariage et d'une progéniture travaillant bien à l'école. Même si elle feint d'ignorer sa vie privée, elle sait que ce n'est pas la voie que Green a choisie.

Ses craintes se voient confirmées le soir où, rentrant chez elle, elle découvre une jeune femme sur son palier. « C'est elle. Elle est plus mince et plus élancée que ma fille. Avec sa drôle de tête et sa peau pâle, on dirait une étrangère. » Étrangère, Lane ne l'est pas tout à fait. « Seule ou avec ma fille, elle veillait mon mari. Le jour où ses cendres ont été déposées dans le columbarium, elle était là aussi, parfaitement visible, à côté de ma fille. »

Entre elles, aucun dialogue ne semble possible. Pourtant, parce qu'elle ne veut pas devenir « l'une de ces vieilles personnes dont les jeunes disent qu'elles sont bornées, pleines de préjugés », le rejet laisse peu à peu place à la curiosité. L'une des patientes dont elle s'occupe dans la maison de repos qui l'emploie favorise également cette ouverture. Après avoir parcouru le monde, cette femme qui ne s'est jamais mariée, n'a pas eu d'enfants, vieillit seule, sans famille pour veiller sur elle. En elle, la mère de Green lit avec terreur l'avenir de sa fille. « J'ai du mal à croire qu'il y ait chez cette femme [...] à la fois le paysage magnifique du monde entier dont je ne sais rien et la solitude absolue d'une fin de vie sans personne qui vienne lui rendre visite de toute l'année. » Pourtant, lorsqu'on lui demande de dispenser moins de soins à cette patiente, son refus est catégorique : pourquoi le fait de n'avoir pas suivi le schéma traditionnel signifierait-il que sa vie a moins de valeur qu'une autre ?

L'isolement, la fin de vie, l'altérité, sont autant de peurs explorées avec talent, finesse et ce qu'il faut de non-dit dans ce roman où chaque geste, chaque mot et chaque acte manqué fait sens. À travers le portrait de trois générations de femmes en prise avec les exigences de la tradition et l'aspiration à vivre et aimer librement, À propos de ma fille érige sans grandiloquence un rempart contre l'intolérance sous toutes ses formes. S'il prend place en Corée et nous offre une formidable radiographie de sa société, sa portée se veut résolument universelle.

Hye-Jin Kim
À propos de ma fille Traduit du coréen par Kyungran Choi et Pierre Bisiou
Gallimard
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 18 € ; 176 p.
ISBN: 9782072913549

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