Elle définit le bibliothécaire comme un « éveilleur ». « C’est l’anti-algorithme et le contraire du fonctionnaire pépère. C’est une personnalité. Il faut des personnalités. D’une intarissable curiosité intellectuelle, qui propose au public ce qu’il n’attend pas. Au jeune qui vient à la bibliothèque, il faut lui faire écouter de l’opéra ! Et la grand-mère, ne pas la ranger dans la case ‘musique classique’ ! »
Si on devait se risquer à ranger Nathalie Mansuy-Todeschini dans une case, ce serait celle d’une missionnaire, "dégageuse" de barrières. « On souffre d’une crise de l’altérité, constate-t-elle. Les bibliothèques sont les lieux contre l’obscurantisme, pour la compréhension de l’autre, grâce aux arts, aux sciences — ces 'nourritures terrestres', comme dit Gide. » Elle ajoutera que « les bébés ont besoin de lait, de caresse et d’histoire. C’est ontologique. Pour Einstein, l’imagination est plus importante que la connaissance. » Car la connaissance est limitée, tandis que l'imagination englobe le monde entier.
Proposer de la culture en milieu rural
Nathalie Mansuy-Todeschini, 59 ans, est habitée de voix et de littérature. Pourtant, elle n’était pas à portée de main : dans son village de Champagne-Ardenne, il n’y avait pas de bibliothèque. Une vingtaine de livres à la mairie. « J’étais solitaire dans mon Grand Est. C’était pas marrant, les dimanches à la campagne. Les livres m’ont beaucoup aidée, à me comprendre, à me trouver. »
Sa fratrie, en études à Paris, lui rapporte des bouquins de la capitale, où elle fonce pour les vacances. Chez Gibert, à Beaubourg, qui vient d’être inauguré. Et l’été, l’ado anime le centre de loisirs rural de la Haute-Marne, dont elle prendra la direction.
En parallèle, elle parfait sa connaissance de la civilisation germanique à l’Université de Lorraine, puis traverse la frontière pour être assistante de français. L’année suivante, elle enseigne la langue de Molière dans une école d’esthétique de Seine-et-Marne.
Elle hésitait entre la psychologie, l’histoire et les langues. Parle l’anglais et l’italien. Envisage de travailler en institut culturel. « Et puis j’ai rencontré un ami bibliothécaire, je me suis dit que c’était un beau métier. »
Aujourd’hui, après seize ans à la bibliothèque départementale de Seine-et-Marne, la conservatrice revient aux sources, dans la bibliothèque d’Avon qu’elle a dirigée de 1990 à 2003, par envie d’expérimenter davantage ses idées sur le terrain, avec les écoles, les associations, les structures sociales. Et combattre la « paresse intellectuelle ».
Théâtre et poésie
Les romans « feel good » et « Facile à lire » la laissent sceptiques. Ces derniers, justifie-t-elle, ne prennent pas en compte la diversité des publics qui ont des difficultés avec la lecture. La femme de caractère grimace aussi quand elle entend qu’il faut s’adapter à la demande et « laisser les clés aux usagers », selon une certaine vision du tiers-lieu. « Sinon, on ouvre une salle polyvalente et c’est bon ! »
Le bibliothèque doit confronter le lecteur à l’inconnu et à des textes impressionnants, défend-elle, en lui mettant dans la main du théâtre et de la poésie, celle de Lorine Niedecker par exemple. « Ça marche ! Car on la met en valeur ! » Quitte à passer, quand la langue est trop difficile, par une adaptation de l'œuvre originale, selon le « concept du saumon » : partir de l’aval et remonter vers la source. Les Misérables, Don Quichotte… « Il faut donner aux enfants des textes forts, ne pas avoir peur d’aborder tous les sujets. »
Pas besoin de prérequis pour lire, martèle Nathalie Mansuy-Todeschini. Avec les étrangers qui ne maîtrisent pas les codes français, elle met sur pied des ateliers, des expositions, des rencontres pour créer des ponts, recueillir leur regard, prendre en considération leur bagage culturel. Et n’est que d’éloges pour le voyage.
Langues
Une fois, elle est allée au Bénin pour former des bibliothécaires. Un peu sur les traces de son père, peu allé à l’école car il fallait aider aux champs, et qui s’est engagé volontairement dans l’armée d’Afrique « pour sortir de sa condition et voyager ».
En Roumanie, pour des maternelles, elle a aidé à créer des fonds d’albums jeunesse tirés d’auteurs français, que des lycéens roumains ont traduits dans leur langue. Avec les éditeurs Mathilde Chèvre et Michel Chandeigne, elle a ouvert des passerelles avec l’arabe et le portugais.
Toujours un essai linguistique sur sa table de chevet. Le poing dans la bouche, de Georges-Arthur Goldschmidt, Eloge de la traduction, de Barbara Cassin. « Des fondamentaux », glisse-t-elle.
C’était le maître mot de son professeur Jean Perrot, qui lui a enseigné la littérature jeunesse à l’Université de Paris-XIII, en 1987. « Il disait qu’il faut lire, lire, lire les fondamentaux de la littérature jeunesse. Ils me servent toujours aujourd’hui. » Alice au pays des merveilles, qu’elle a lu tardivement.
Ce n’est qu’une fois entrée dans le métier que la littéraire a découvert les sciences, la BD, le polar. L’electro, c’est par ses enfants. « Il y a toujours à apprendre. Comme dit Borges : plus on sait, moins on sait. » Fondamental.