D'une rive à l'autre. Entre deux eaux, entre deux âges, souvent entre deux verres, les personnages de L'an prochain à Tbilissi (en v.o., One more year...), le premier recueil de nouvelles traduit en français de Sana Krasikov, divaguent joliment entre leurs horizons perdus (l'Amérique, pour aller vite) et de méchants souvenirs (l'Union soviétique ou ce qu'il en reste). Une Géorgienne, la quarantaine essoufflée, sert de dame de compagnie à un septuagénaire cardiaque. Un homme retrouve par hasard à New York la fille de son grand amour moscovite disparu. Une jeune femme de Nijni Novgorod doit épouser un gamin américain qu'elle n'aime guère pour obtenir sa "carte verte" de séjour. Une femme abandonne les rives de l'Hudson River pour retrouver son mari et son pays, la Russie, à l'heure des frénésies spéculatives. Chacune des huit histoires qui composent ce recueil interprète la même chanson triste où la permanence de l'exil serait le plus entêtant des refrains. On aurait tort de faire de Sana Krasikov, jeune américaine surdouée (ayant quitté sa Géorgie natale à l'âge de 8 ans), l'énième représentante de cette "world literature" hyper efficace et sans surprises qu'essaiment les ateliers d'écriture des universités de la côte Est. Il y a dans ces pages un tremblé, un lyrisme sec, qui oblige à en appeler aux grands maîtres, Carver bien sûr, mais aussi John Cheever. Cette chanson n'est pas celle des exilés, mais de ceux qui découvrent qu'il n'y a d'exils qu'intérieurs, et que les ailleurs sont désormais une notion désuète. La fatigue, le désir et le manque d'amour ont la même gueule, à New York comme à Tbilissi.