Stratégies d’éditeurs

La crise, ça suffit !

"Nous avons eu une année superbe, extraordinaire, une année record. Mais nous allons publier moins de titres. On resserre la production pour développer nos forces." Isabelle Laffont, dans son bureau des éditions Lattès. - Photo Olivier Dion

La crise, ça suffit !

Après une année 2013 difficile, les éditeurs manifestent par des budgets sensiblement à la hausse un optimisme raisonné pour 2014. Assurant en avoir fini avec la course à la surproduction, ils entendent s’appuyer sur leur fonds et leurs savoir-faire pour imaginer de nouvelles formes éditoriales et s’adapter aux contraintes du marché.

J’achète l’article 1.5 €

Par Sandrine Martinez, Clarisse Normand, Christine Ferrand
Créé le 10.01.2014 à 08h24 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

Clairement, les éditeurs ont décidé de tourner le dos à la morosité de 2013. Malgré un marché du livre fragilisé par la récente déconfiture de Virgin et de Chapitre, ils affichent leur confiance pour l’année à venir. Plusieurs d’entre eux annoncent des budgets légèrement en hausse ! Surtout, ils sont bien décidés à se donner les moyens de redéployer leur activité. Ainsi, il n’est plus question d’augmenter la production à tout-va : tous s’accordent pour être plus sélectifs dans leurs choix afin de mieux défendre leurs livres. Pragmatiques, ils s’attachent à se donner les outils susceptibles d’accentuer leurs points forts et de créer de nouveaux relais de croissance.

Gilles Haéri, le directeur général de Flammarion, illustre bien cette tendance : «Nous voulons rester confiants et offensifs pour faire mentir la crise. Si le nombre de nouveautés est en très légère baisse, notamment en beaux livres où le marché marque le pas, nous accélérons le développement éditorial de certaines branches, comme l’histoire et les sciences avec des recrutements d’éditeurs, notre marque Arthaud ou les catalogues de musées. »

 

L’éditeur de l’année.

Mais une année électorale est toujours plus difficile, et certains le prennent en compte, y compris ceux qui s’en sortent le mieux comme Lattès qui, après avoir publié des best-sellers en série (Fifty Shades, Grégoire Delacourt, Dan Brown), apparaît comme l’éditeur de l’année 2013. « Nous avons eu une année superbe, extraordinaire, une année record, et nous repartons avec de bonnes cartouches. Mais nous allons publier moins de titres. On resserre la production pour développer nos forces et maintenir l’équilibre entre littérature exigeante et gros succès commerciaux », déclare Isabelle Laffont, sa directrice générale.

 

"Nous voulons rester confiants et offensifs pour faire mentir la crise." Gilles Haéri, Flammarion.- Photo OLIVIER DION

Se concentrer sur ses dominantes et promouvoir le fonds reste la stratégie gagnante pour assurer ses arrières dans un climat incertain. Olivier Nora, P-DG de Grasset, observe : « Par temps de crise, il faut paradoxalement monter en gamme, se recentrer sur ce que l’on sait faire de mieux dans son propre ADN, tout en conservant des titres qui possèdent un moteur commercial intégré. Nous voulons revenir aux fondamentaux de la maison pour les renforcer en littérature française et étrangère, et renouer avec une exigence qui est celle de la couverture jaune. »

Le Seuil affiche cette année de grandes ambitions pour le format poche, que ce soit par l’introduction d’inédits dans la marque Points en histoire, en économie, en sciences et en sagesse, et la proposition de nouvelles couvertures, ou l’organisation de la réimpression de 300 titres par an. « Il s’agit de revaloriser le fonds pour repartir à la conquête d’un nouveau lectorat », analyse Olivier Bétourné, président du Seuil. La maison d’édition s’attaque aussi à la réédition des titres qui ont marqué la collection "Fiction & Cie" qui fêtera ses 40 ans.

 

L’animation du fonds est plus encore un enjeu pour Univers Poche, premier éditeur du secteur. « Nous avons connu une très bonne année 2013, sur un marché pourtant en recul, souligne la présidente Marie-Christine Conchon. Notre objectif en 2014 est de continuer à gagner des parts de marché en restant attractifs et très actifs. Notamment en renouvelant les couvertures lors des rééditions. Cela permet de redonner de la visibilité et de donner une modernité graphique au catalogue. »

 

 

Innovations.

Cette politique de consolidation n’empêche pas les innovations éditoriales et commerciales. Lattès envisage de créer une nouvelle collection de romans "romantiques", « peut-être sous une autre marque », indique Isabelle Laffont. Mais il s’agit surtout d’expérimenter un nouveau format, le semi-poche, qui a le vent en poupe. « Ceci nous permettrait, avec des prix plus attractifs, de toucher un public plus large et plus jeune. » Le Seuil donne un signe fort en créant avec Pierre Rosanvallon la nouvelle filiale Raconter la vie, une initiative à la fois littéraire et citoyenne, qui donne la parole à ceux qui ont du mal à se faire entendre (1). Surtout, l’éditeur innove en complétant cette offre par un site Internet. « Il s’agit d’expérimenter un couplage entre l’édition classique et Internet pour créer un lieu d’expression et de lien social, explique Olivier Bétourné. Car le grand enjeu de la sortie de crise réside dans la manière de saisir les nouvelles modalités de promotion de l’écrit. »

 

"Le grand enjeu de la sortie de crise réside dans la manière de saisir les nouvelles modalités de promotion de l’écrit." Olivier Bétourné, Seuil.- Photo OLIVIER DION
Un repositionnement stratégique : « Nous voulons faire du Seuil non seulement une référence en sciences humaines mais aussi en littérature. »

Tous les éditeurs s’engouffrent dans cette énorme caisse de résonance que représentent désormais les médias sociaux. «Nous allons refondre entièrement notre site Internet pour le rendre plus ouvert sur les réseaux sociaux et les communautés informelles, indique Olivier Nora chez Grasset. Ceci va se traduire par des formations de personnel. » Très présent sur le Web communautaire, Univers Poche va intensifier ses partenariats d’échange de visibilité sur des médias en ligne, et « amener l’ensemble des collaborateurs à intervenir sur le numérique en proposant des formations appropriées ». Même démarche chez Lattès qui, pour les gros lancements, s’intéresse de près à tous les moyens offerts par les réseaux sociaux. «Nous voulons être un peu plus performants en amont et ne plus coller à la publication, décrypte Isabelle Laffont. Il s’agit de créer le buzz avant et de relayer l’information ensuite dans les médias traditionnels. »

 

 

Ebooks.

L’édition numérique est devenue par ailleurs une réalité tangible. « Etant donné les bons résultats des ventes de livres numériques, en littérature de genre notamment, nous entendons mener une politique plus active, en prévoyant la numérisation de 1 000 titres du fonds sur trois ans », annonce Gilles Haéri chez Flammarion. De nouvelles pratiques voient le jour : Univers Poche va créer des opérations de promotion couplée sur les publications papier et numériques dans les points de vente, « ce qui nous permettra de travailler la complémentarité des offres », précise Marie-Christine Conchon. Le numérique apparaît aussi comme une opportunité à l’international pour Claude de Saint-Vincent, directeur de Média-Participations : « En bande dessinée notamment, la numérisation est en route. Nous pouvons désormais prendre le risque d’aller sur le marché mondial en deux ou trois langues directement avec plusieurs nouveautés, d’abord vers le marché anglophone et la Chine. »

 

Enfin, les éditeurs ont l’œil rivé sur la librairie. Albin Michel a fait le grand saut en rachetant d’un coup, pour commencer, cinq des librairies mises en vente par Chapitre (voir p. 18 l’entretien avec Francis Esménard), tandis que Gallimard a repris Hall du livre à Nancy. Mais cela se traduit aussi chez Flammarion par la création d’un poste dédié au suivi des animations et des signatures, en particulier dans les librairies indépendantes. « Car leur qualité de prescription et leur engagement restent pour nous déterminants », insiste Gilles Haéri.

Actes Sud, satisfait de la nouvelle organisation de sa diffusion réalisée en 2013, investit cette année dans l’intégration de la diffusion de Payot & Rivages. "C’est un vrai challenge", déclare Françoise Nyssen, P-DG du groupe.

 

 

Améliorer le réassort.

Plus largement, les canaux de diffusion font l’objet de toutes les attentions. L’ampleur de l’offre en points de vente reste un enjeu majeur pour la dynamique générale du marché. « La disparition de points de vente reste une mauvaise nouvelle et, au CDE, nous sommes davantage touchés par la chute de Chapitre que par Virgin car nous avons beaucoup d’ouvrages de fonds, constate Mathias Echenay, directeur général de la filiale de diffusion de Gallimard. Cela représente une perte de 5 % des ventes qu’il va falloir reporter. » Pas de changement d’organisation notable, en dehors d’ajustements sur la région de l’Est, très touchée. C’est l’occasion, selon le diffuseur, de progresser encore dans le travail de qualité avec le libraire. « La mise en place est un élément, mais les libraires font attention à leur trésorerie. Nous voulons les aider à améliorer le réassort et la réactivité sur des titres qui démarrent. »

 

Chez Interforum, Olivier Fornaro, directeur de la diffusion, souhaite renforcer les liens avec enseignes et librairies. «Nous allons jouer notre rôle de conseil à fond, partager nos expériences sur la zone de chalandise, explique-t-il, en privilégiant les librairies de création de taille moyenne qui ont un fort potentiel de développement. » En 2013, cent librairies labellisées Lir ont bénéficié des équipes de premier niveau pour être mieux suivies et informées. « Nous allons amplifier notre travail sur l’amélioration des conditions de vente. »

S. M.

(1) Voir LH 976 du 29.11.2013, p. 23.

Alain Kouck : "Donner aux éditeurs les moyens de se développer"

Photo PHOTO OLIVIER DION

Les fêtes en librairie : le malheur des uns a fait le bonheur des autres

 

Nombre de libraires indépendants ont profité à Noël des difficultés de certains de leurs confrères ou de leur disparition pure et simple. Toutefois, à l’échelle du marché, les bonnes performances des uns compensent celles des autres.

 

Vitrine de fêtes, Librairie Flammarion, Paris.- Photo OLIVIER DION

Un « archi méga bon mois de décembre » : à Bergerac, Coline Hugel à la tête de La Colline aux livres ne cache pas sa satisfaction. Son chiffre d’affaires a augmenté de 23 % par rapport à décembre 2012. Au-delà de la notoriété acquise par sa librairie et de l’élargissement de son offre en jeux, elle reconnaît avoir bénéficié d’un transfert de clientèle lié aux difficultés de Chapitre. De même, à Lyon, où Virgin a mis la clé sous la porte en juin et où Chapitre est en pleine déliquescence, Passages a enregistré une croissance « historique » avec des demandes « plus grand public que d’habitude ». A Nancy, ville également marquée par la disparition de Virgin mais aussi de Stanislas et par les difficultés de Chapitre-Hall du livre, L’Autre Rive a aussi connu une très bonne fin d’année. Codirigeant de l’établissement depuis un an et demi, Frédéric Jaffrennou se demande même si l’affluence enregistrée n’est pas liée aussi à un certain militantisme de la part de consommateurs de plus en plus conscients, dans le contexte actuel, des problématiques des librairies indépendantes.

 

 

Déperdition.

Si, pour les magasins installés dans des villes touchées par la déconfiture de Virgin et de Chapitre, le bilan des fêtes est très satisfaisant, il est plus partagé pour les autres. Ce dont devraient témoigner les chiffres globaux du marché. Après la baisse de 3,5 % enregistrée en novembre, décembre ne devrait pas, en effet, faire apparaître de très bonnes performances. D’une part, la demande qui s’exprimait chez Virgin jusqu’en juin ne s’est que partiellement reportée sur d’autres établissements, faisant ressortir une déperdition à l’échelle globale. D’autre part, les librairies Chapitre, fortement pénalisées par leur manque d’approvisionnement, accusent pour beaucoup d’entre elles des chutes d’activité comprises entre 30 % et 40 %.

 

Dans les grandes surfaces non spécialisées, l’activité a été médiocre. Chez Auchan, on évoque une fin d’année compliquée, notamment pour les beaux livres et la vie pratique. «Sur l’ensemble des mois de novembre et décembre, on est à peu près stable par rapport à l’an dernier, estime le chef de groupe livres et supports enregistrés, Vincent Sabin. Mais, en décembre, les ventes ont été tardives et concentrées sur les derniers jours avant Noël. »

Du côté des grandes surfaces spécialisées, la Fnac se retranche derrière ses nouvelles contraintes en matière de communication financière, liées à son introduction en Bourse en juin, et se refuse à tout commentaire avant la publication de ses chiffres prévue le 27 février. En revanche, chez son concurrent Cultura, Eric Lafraise, chef de produit livres, se félicite des ventes réalisées sur la fin de l’année, tant dans le secteur de la jeunesse que de la BD et de la littérature.

Parmi les librairies indépendantes qui ne sont pas situées dans les mêmes zones de chalandise que Chapitre et Virgin et n’ont donc pas profité d’un report de la demande, le bilan est là aussi contrasté. Il peut être très positif comme chez Atout-Livre à Paris (12e) qui a connu «son meilleur mois de décembre depuis sa création, avec une progression de 9 % », selon David Rey. Ce dernier salue le fait qu’« à côté du Goncourt Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre et des BD Astérix chez les Pictes et Blake et Mortimer, L’onde Septimus, les coups de cœur des libraires se sont aussi très bien vendus ». Et de citer : Tyler Cross en BD, Conjurer la peur de Patrick Boucheron en sciences humaines, ou encore, en littérature, La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson et Le silence de Perlmann de Pascal Mercier. De même, à Neuville-sur-Saône, Florence Veyrié se déclare très satisfaite par l’activité de décembre, en hausse de 15 %. « On a essayé plein de choses et cela a été payant. On a commandé plus tôt que d’habitude sans hésiter à augmenter nos stocks. Résultat, les ventes ont débuté dès la fin de novembre et les journées habituellement faibles ont été fortes, tandis que celles qui l’étaient déjà le sont restées. »

Cependant, au Havre, Serge Wanstok se contente pour La Galerne d’une activité simplement étale en novembre et en décembre, tandis qu’à Quimper Jean-Michel Blanc accuse sur cette même période un recul de 5 % de son chiffre d’affaires dû à une baisse de fréquentation induite d’abord par les manifestations des « bonnets rouges » qui ont marqué dans cette région, puis par les intempéries. A Lorgues, dans le Var, Michel Paolasso se montre aussi un peu déçu par les performances enregistrées par la Librairie lorguaise et a le sentiment que le livre a moins joué son rôle de cadeau de dernière minute que les autres années. C. N.

 


Les dernières
actualités