Après l'intervention d'ouverture d'Aurélie Filippetti, plusieurs artistes et intellectuels, dont Robert Darnton, président de la bibliothèque de l’université de Harvard, et Bjorn Ulvaeus, chanteur du groupe ABBA, ont dressé un premier constat sur la politique culturelle européenne.
Puis s’est tenue une table ronde autour de l’économie et l’innovation culturelle dans l’Union européenne. La commissaire européenne à la Culture, la Chypriote Androulla Vassiliou, a rappelé la fermeté de la position de l’Europe quant à la défense du droit d’auteur, notamment vis-à-vis des œuvres numériques. Xavier Greffe, économiste à la Sorbonne, a remarqué que malgré des conditions favorables (niveau moyen d’éducation, taux d’urbanisation et niveau économique) à l’épanouissement du secteur culturel, « la diversité culturelle européenne n’a pas été transformée en force créative ». Et contrairement au Japon par exemple, l’UE peine encore à exporter sa production hors de ses frontières.
L'enjeu semblait suffisamment important pour que le président de la République, François Hollande, fasse une visite surprise, en début d'après midi. Pour le chef de l'Etat, "la culture est une chance pour l'économie européenne, une source d'emploi et d'activité", un "avantage comparatif par rapport à d'autres continents" ainsi qu'un "levier de développement pour nos propres pays et pour l'Europe". Enfin il a plaidé pour que "les taux de TVA puissent être adaptés à l'accès aux produits culturels", jugeant que "tous les produits culturels devraient être au même taux de TVA."
"Les romans numériques créent de nouvelles tensions"
Guillaume de Fondaumière, directeur général du studio de jeux vidéo Quantic Dreams, a souligné l’importance pour l’Union de retenir les jeunes talents qu’elle forme grâce à des projets d’envergure. Etaient également présents la sociologue américaine Saskia Sassen et l’architecte norvégien Kjetil Thorsen, qui ont abordé respectivement l’expansion du terrain culturel européen et l’importance de l’urbanisme dans la perception qu’en ont les citoyens européens.
La conclusion des débats de la matinée a été laissée à Martin Schulz, président du Parlement européen et candidat PSE à la présidence de la Commission qui sera recomposée en juin prochain, qui a notamment eu quelques mots à propos du développement du livre numérique et du piratage : « Les œuvres ne sont plus produites ni distribuées de la même manière. Le droit d’auteur et la juste compensation de la création sont remises en question. Le public attend un accès toujours plus large. L’inertie n’est pas possible. Les romans numériques créent de nouvelles tensions, donc il faut créer un nouvel équilibre accepté par les citoyens et les créateurs. »
Quelques artistes (le cinéaste Costa Gavras, le musicien Jean-Michel Jarre, la chorégraphe et danseuse Blanca Li, le metteur en scène Peter Brook...) ont à nouveau appelé à défendre la culture, avant une photo collective de tous les ministres européens de la Culture, dont Aurélie Filippetti, qui a invité Yevhen Nyshchuk, son homologue ukrainien, à s'exprimer.
"Préférer le contrat à la contrainte"
Les interventions de l'après-midi se sont notamment concentrées sur la place du droit d'auteur dans l'UE. L'éditrice Teresa Cremisi, directrice générale du groupe Madrigall, a souligné que "le droit d'auteur n'est pas un obstacle à la circulation du savoir. C'est un obstacle à la domination de grandes entreprises d'Internet". Avant d'énoncer sa conception d'une bonne politique du droit d'auteur : "Préférer le contrat à la contrainte ; accentuer la lutte contre le piratage, qui n'est pas une liberté mais bien une activité lucrative. Repenser à la responsabilité des intermédiaires techniques."
Plus encore que la juste rémunération, le cinéaste Radu Mihaileanu a rappelé l'importance du droit moral, qui incarne la "vision" des artistes. Mais l'intervention qui a déclenché le plus de rires dans la salle est probablement celle du compositeur américain Paul Wiliams, qui a prié l'Europe de rester "la defenseur de la propriété intellectuelle". Le musicien a rapporté cette phrase du chanteur Bill Withers, qui craignait que sans droit d'auteur, les artistes se retrouvent forcés de se trouver un emploi alimentaire : "Vous ne voulez tout de même pas avoir Ozzy Osbourne comme plombier !"
Seul incident notable de cette première journée: quelques dizaines d'intermittents du spectacle et de travailleurs précaires ont manifesté devant le Palais de Chaillot aux cris de "pas d'Europe sans droits sociaux."