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La documentation française, une vieille dame indigne?

La documentation française, une vieille dame indigne?

L'institution, déménagée de ses locaux historiques en début d'année, fête ses 70 ans dans une époque numérisée.

"La vieille dame du Quai Voltaire", comme l’avait qualifiée un jour le journal Libération, sera donc morte peu après sa cinquantième année. C’est en effet en 1967 que La documentation française inaugurait ces nouveaux locaux du 29-31, Quai Voltaire, en présence du premier ministre de l’époque, un certain Georges Pompidou. Centres documentaires, services éditoriaux et librairie se trouvaient réunis en un même lieu.

L’histoire de la Documentation française remonte à la seconde guerre mondiale, puisque la direction des informations, créée par une ordonnance du général de Gaulle en date du 23 octobre 1944, est issue de la fusion du centre de documentation et de diffusion clandestine installé à Londres à l’été 1942 avec le service de documentation et d’études présent à Alger depuis juin 1943.

Dans ses missions d’origine, la Documentation française avait vocation, d’une part à rassembler une documentation sur les problèmes d’actualité pour les administrations, d’autre part à éditer, à destination du grand public, des documents d’information générale, ou de vulgarisation, que "ni la presse ni l’édition privée n’ont vocation à publier", comme le précise un historique préparé à l’occasion des 70 ans de l’institution.

Dans l’air du temps de la diffusion de l’information "administrative"

La suppression du Quai Voltaire (qui sera remplacé dans les locaux par le centre de recherche du musée d’Orsay, "et non pas par une banque", comme le précise le secrétaire général de la Direction de l’information légale et administrative, la DILA) n’a pas suscité beaucoup d’intérêt, tant elle semble s’inscrire dans l’air du temps de la diffusion de l’information "administrative" et, plus généralement, de la façon dont les relations entre l’Etat et les administrés sont envisagées.

C’est un truisme que de rappeler que, d’un côté, on supprime les lieux de présence physique de l’Etat, tandis que, de l’autre, on promeut la présence numérique, par exemple dans l’exercice des fonctions régaliennes, comme la levée de l’impôt ou la justice.

Cette mise à distance est d’ailleurs double, puisque, à la mise à distance de l’administré, s’ajoute celle de l’Etat, qui, au nom de la transparence et de la gouvernance –notion qui semble avoir remplacé celle d’autorité– l’Etat s’efforce avant tout de "rendre compte" de son action, sans plus porter sur le monde qui l’entoure un regard spécifique, comme les missions premières de la Documentation française l’y autorisaient. De ce repli procédait déjà, en 2010, le regroupement de la Documentation française et de la direction des Journaux officiels au sein de la DILA, la première citée devenant "une marque", et non plus un service à part entière.

Fournir des données

Pourtant, les plus anciens se souviendront que, dans les années 90 encore, la Documentation française proposait la BIPA, Banque d'information politique et d'actualité, remarquable synthèse sur toutes les questions d’actualité, issue d’un minutieux travail de dépouillement et d’indexation des équipes de l’institution. Aujourd’hui, l’irréprochable site Vie-publique.fr  est comme une survivance de cette "grande époque", qu’il ne s’agit pas de regretter pour elle-même, mais parce qu’elle inscrivait l’action de l’Etat dans une mission de documentation démocratique du citoyen qui semble aujourd’hui en danger, comme en témoignent, outre la disparition de l’adresse du Quai Voltaire, la suppression à l’automne 2016, de Problèmes économiques, revue réputée, ou le recentrage en cours de la politique éditoriale de la célèbre Documentation photographique.

Désormais, "rendre compte" ou "analyser" consiste avant tout à fournir des données, comme en témoigne à rebours la politique volontariste menée autour du site data.gouv.fr, ouvert en décembre 2011, et porté par la très active mission Etalab –qui ne dépend pas de la DILA, mais de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (DINSIC). Pourtant, au risque de passer pour un de ces nostalgiques de "la douceur des lampes à huile, [de] la splendeur de la marine à voile" dont parlait, dans un tout autre contexte (lui faisait référence aux nostalgiques de l’empire colonial français) le général de Gaulle, on pourra rester dubitatif sur le recours aux "big data" comme modalité obligatoire et définitive du bien-fondé de l’action régalienne.

D’une part, parce que c’est laisser le soin à d’autres, avec toutes les dérives possibles, d’analyser et de  "rendre compte". D’autre part, parce que la donnée, son choix comme sa collecte, n’est rien moins que neutre et objective. Comme le rappelait Marc Twain, "il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques".
23.05 2018

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