13 SEPTEMBRE - HISTOIRE Chine

Yang Jisheng- Photo DR/SEUIL

Lorsque son père meurt de faim en 1959, Yang Jisheng ne fait pas le lien avec la politique. Il avait 19 ans, il était communiste. A force de voir comment l'information se fabrique - il a travaillé jusqu'en 2001 pour l'agence officielle Chine nouvelle -, Yang Jisheng se lance dans une vaste enquête. C'était en 1989, l'année de Tiananmen. Voici donc enfin traduit un livre essentiel pour comprendre de l'intérieur ce que fut, de 1958 à 1961, la grande famine en Chine.

Grande, elle le fut par l'ampleur avec ses 36 millions de victimes. Grande, elle le fut aussi par la peur qu'elle inspira et le silence qu'elle engendra. Il fallait du courage à Yang Jisheng pour s'embarquer sur une telle galère, comme il lui en faut toujours comme rédacteur en chef du magazine Yanhuang Chunqiu (Annales chinoises) dont le site Internet est régulièrement bloqué par les autorités.

A partir de l'édition en deux volumes parue en 2008 à Hongkong, fruit de dix ans de travail, Yang Jisheng a concocté ce résumé - de plus de 600 pages tout de même ! - où l'essentiel est dit. En bon journaliste, il a construit son livre comme un reportage. Il donne tous les éléments - discours, articles, témoignages, etc. - pour saisir comment s'est mise en place cette épouvantable tragédie. Et il raconte comment les provinces chinoises ont été poussées vers la mort par le délire d'un homme.

La figure de Mao plane sur cette vaste enquête. C'est lui qui dirige la politique du "grand bond en avant" dont la grande famine est la conséquence. Derrière ce terme, il faut entendre collectivisation, privation et épuisement des campagnes pour préserver les villes. Pour Mao, la faim justifie les moyens. Il fait entrer la brutalité dans les villages, avec la volonté de détruire la famille qui représente la dernière structure sociale échappant encore au contrôle du parti, et il instaure des cantines communes qui dépouillent encore un peu plus les paysans de leurs biens.

"La faim avant la mort est encore plus terrible que la mort", écrit Yang Jisheng. La conférence de Lushan en 1959 intensifie cette catastrophe sans précédent dans des conditions climatiques normales, sans guerre et sans épidémie. Et la répression est terrible pour ceux qui sont pris avec quelques graines dans leurs poches. On voit ainsi se développer le suicide, la folie et le cannibalisme à grande échelle avec des parents qui vont jusqu'à manger leurs enfants. On trouve même de la viande humaine sur les marchés...

Pourquoi avoir donné à ces trois années effroyables le titre poétique de Stèles qui nous renvoie à Victor Segalen ? On le comprend après être ressorti de cet enfer où les gens mangent des écorces, de la terre, du fumier et vont jusqu'à se dévorer eux-mêmes. Pour lutter contre l'oubli et donner à toutes ces victimes une sépulture pour l'histoire.

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