On sait la dureté de l'apprentissage des jeunes danseuses, ces petits rats de l'Opéra immortalisés en leur temps par Degas. En vérité, l'entraînement sportif à un très haut niveau et à l'âge le plus tendre est un enfer, toutes disciplines confondues. Pour Huit minutes de ma vie, Gilles Bornais s'est inspiré du parcours de la reine du 400 mètres, Laure Manaudou, et s'est glissé dans la peau d'une nageuse en pleine adolescence. L'auteur de polar, ancien champion de natation et reporter sportif, quitte le roman noir mais pas les bassins. C'est d'ailleurs sur le rythme effréné des entraînements et avec un sens aigu de l'observation et de la mécanique du suspense que Gilles Bornais nous fait partager le surmenage physique de sa narratrice, ses peurs liées à la concurrence permanente. Huit minutes de la vie d'une jeune femme où tout bascule. Arrachée à une enfance provinciale par le nec plus ultra des entraîneurs, Philippe, alliage de champion raté et de mentor implacable, la jeune Alizée emménage, avec l'assentiment de ses parents ambitieux, chez celui qui veut faire d'elle une championne olympique. La barre est placée haut, prévient Philippe, ce sera Buenos Aires pour les Championnats du monde, puis les Jeux de Tokyo... Ascèse spartiate où se mêlent franche camaraderie, rivalité vénéneuse, immaturité psychologique incarnée par des corps d'athlète, l'ambiance de ces sport-études d'exception est rendue avec justesse. La voix de l'héroïne vibre tout d'abord de cette niaque propre aux vainqueurs avant de se fêler au contact de la passion. Le footballeur Luis Esteban, copain de Manzanares, la nageuse espagnole à qui elle l'a "piqué", lui fait tourner la tête. Mais le vertige ne se révèle pas tant amoureux qu'il est le masque d'un désir d'émancipation - cette rébellion d'adolescente que son entraînement soutenu a empêchée d'advenir. La liberté, ce sont ces muscles au repos entre les mains d'un kiné, ce corps éperdu dans l'amour.