Les 16-19 ans sont principalement socialisés dans le cadre du lycée. Et ils se distinguent nettement des plus jeunes par un fort repli de la lecture pour l’école ou le travail : 64% déclarent cette pratique contre 93%. Il en va de même pour la lecture de loisir puisque la part des jeunes qui se livrent à cette pratique diminue de ceux d’âge primaire aux lycéens (respectivement 93% et 62%).  Et, par rapport à 2022, la baisse de la lecture loisir concerne uniquement le lycée (-12% par rapport à 2022). Pour mémoire, en 2016, le temps consacré à cette lecture ne variait presque pas entre les plus jeunes (7-12 ans) et les plus âgés (16-19 ans). Cela montre que l’érosion de la lecture ne concerne pas tant les « jeunes » en général que les lycéens.

Les écrans bien sûr…

Il est indéniable que le temps d’écran augmente beaucoup au moment du lycée puisque 73% des jeunes de cet âge y consacre plus de 3h contre 38% chez les 13-15 ans. Les écrans (surtout connectés) occupent désormais une place centrale dans la manière dont les jeunes se construisent et construisent leur propre monde. Et le fait que 69% des 16-19 ans déclarent faire autre chose en même temps qu’ils lisent signale à la fois qu’ils ont fort à faire et que les écrans sont le moyen par lequel ils se fabriquent.  Qu’ils envoient des messages ou qu’ils aillent sur les réseaux sociaux, qu’ils téléphonent ou qu’ils jouent en ligne, ils communiquent, s’informent, élaborent des normes, partagent des émotions, etc. Bref, ils construisent leur monde personnel en explorant le monde des autres. La lecture d’imprimés peine à rivaliser parce qu’elle ne permet pas aux jeunes d’interagir avec leurs homologues en partageant leurs références et leurs émotions en direct.

Mais les outils apportent leur propre logique addictive et leur capacité à capter l’attention. Exemple parmi d’autres ces « storytime » : Vidéos sur les réseaux sociaux dans lesquelles les gens racontent une histoire (souvent personnelle) sur fond de parcours de jeu-vidéo ou d’images animées sans lien avec le propos. C’est ce qui peut légitimement poser des questions sans toutefois les réduire aux seuls adolescents puisque ces mécanismes de dépendance numérique concernent aussi les adultes comme l’atteste le débat lancé par l’ancienne ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem.

L’érosion mécanique de la transmission familiale

Le repli de la lecture des jeunes prend aussi place dans le cadre d’une érosion des pratiques de lecture des parents. L’enquête montre que si en 2016, 55% des enfants désignaient l’un de leurs parents comme lisant souvent, ce n’est plus le cas que de 43% en 2024. Les enfants grandissent de plus en plus dans des familles qui donnent de moins en moins souvent un exemple parental favorable. La transmission de la lecture est moins assurée qu’avant par ce que donnent à voir les parents. L’érosion de la pratique s’auto-alimente.

Les effets pervers de la scolarisation de la lecture

Le retrait de la lecture est particulièrement net au moment du lycée c’est-à-dire à celui des épreuves de français. La part de non lecteurs pour le travail d’octobre-novembre à janvier-février (donc en temps scolaire) passe de 3% avant à 16% au lycée. La contrainte ne suffit pas à engendrer une pratique soutenue et, sans le vouloir, conduit au dégoût pour la lecture. Ce sont ainsi près d’un tiers des 16-19 ans qui disent détester ou ne pas trop aimer la lecture alors que c’est le cas de 10% en primaire et de 21% entre 13 et 15 ans.

On peut imaginer de partager le point de vue de Gabriel Attal qui, le 10 avril devant l’Assemblée nationale (et à propos de cette enquête) a déclaré : « Je ne veux pas d’un pays où TikTok remplace les romans, où les influenceurs remplacent les grands auteurs, et où les écrans prennent peu à peu toute la place ». Mais force est de constater que le cadre scolaire, malgré la bonne volonté largement partagée par les professeurs de français, non seulement ne permet pas la diffusion de la lecture mais pas non plus celui du goût pour cette pratique. Pris comme des réceptacles d’une culture qui leur apparaît d’autant plus étrangère qu’elle leur est imposée, les élèves se tournent peut-être d’autant plus facilement vers la lecture des réseaux sociaux et les vidéos y compris des influenceurs… Ils ont la possibilité de s’exprimer et de construire le monde et non plus d’être spectateur d’un passé hérité dont les valeurs présentées comme universelles sont malmenées. Liberté mais aussi impunité pour les puissants. Egalité mais sexisme et écarts croissants de revenus. Fraternité mais sécession des plus riches…

La famille se porte bien !

Pour autant, est-ce à dire que les jeunes ne peuvent construire leur rapport à la lecture que de façon solitaire ? Ce n’est à l’évidence pas le cas quand on se penche sur la manière dont les lecteurs de loisirs choisissent leurs livres. Alors qu’en 2016, la moitié des 7-19 ans affirmaient choisir leurs livres tout seul, ils ne sont plus que 26% en 2024. A l’inverse, 53% mentionnent l’un de leur parent au moins alors qu’ils n’étaient que 40% en 2016. La famille se porte bien, elle est le cadre de construction d’un lien de confiance suffisant pour que des conseils de lecture y circulent. Environ deux tiers des jeunes sont incités à lire par leurs parents mais, comme le montrait l’édition de 2016, la pression se relâche du primaire au lycée (75% à 50%). Les parents prennent la mesure de la revendication d’autonomie de leurs enfants. Le dialogue doit l’emporter sur la prescription. Et c’est au même moment que, au contraire, l’institution scolaire accentue la contrainte.

Les bibliothèques en rémission ?

On sait que la fréquentation des bibliothèques (hors CDI) diminue avec l’avancée en âge, l’enquête CNL 2024 montre que les élèves s’y rendent davantage que leurs homologues de 2022 : 39% y viennent au moins une fois par mois contre 32%. De même, les bibliothèques publiques sont davantage utilisées comme cadre de leurs pratiques de lectures : 33% des 7-19 ans les signalent contre 26% en 2022.

Cela montre que les bibliothèques semblent retrouver de l’attrait auprès des jeunes. Leur ouverture aux publics via de nouveaux supports, un meilleur accueil et une visibilité maintenue par les visites de classes alimente une image plus favorable, plus à l’écoute et donc une fréquentation accrue. Signe positif qui vient après tant d’années de questionnements sur les adolescents et la bibliothèque…

Des réseaux sociaux à l’influence croissante

Les réseaux sociaux ne sont pas seulement une concurrence pour l’attention laissée disponible à la lecture d’imprimés. Ils deviennent un vecteur alternatif de recommandations de lectures. Ainsi, 19% des lecteurs de 7-19 ans disent avoir choisi leur livre parce qu’ils en ont entendu parler sur les réseaux sociaux (+14% par rapport à 2022). Et, 15% disent en avoir entendu parler par un(e) influenceur(se) spécifiquement dédié(e) au livre (+8%). Globalement, c’est un tiers des 7-19 ans qui mentionnent Internet en général comme source de conseil. Le livre, loin d’être l’opposé du numérique, s’en nourrit car il lui donne cette autonomie qui permet son appropriation personnelle. Ceux qui parlent de livres sur Internet doivent composer avec les jeunes, s’adresser à eux et donc composer avec qui ils sont… Et relevons d’ailleurs, que chez les 16-19 ans le poids d’Internet dans le conseil atteint 57%, soit une place majeure bien supérieure à celle occupée par l’institution scolaire qui pourtant consacre tant d’heures à la transmission de la lecture…

Conclusion : la relation condition de la transmission

L’enquête laisse le sentiment que les lycéens (la plupart) vivent la lecture comme une expérience de transmission contrainte d’un rapport au livre, d’un corpus, d’un passé, etc. Cela les conduit à se détourner de cette pratique et à aller plutôt du côté des réseaux sociaux pour trouver un espace d’épanouissement personnel. C’est que le modèle de l’enfant pâte à modeler est révolu et on constate que les institutions qui modifient leur approche (famille et bibliothèque) parviennent à maintenir les moyens d’une transmission. C’est sans doute dans cette direction que l’institution scolaire pourrait être questionnée…