Le droit français n'accorde une protection que très relative à la mémoire des morts. Un jugement du Tribunal de grande instance de Paris, en date du 8 novembre 2018, l’a encore récemment rappelé.
L’affaire portait sur la nécrologie d’un homme politique. Son fils avait assigné en diffamation en raison d’un texte dont quelques termes suffisent à donner le ton :« Prébendes, clientélisme, achats de votes, le système D. tourne à plein régime ». La chambre de la presse s’est appuyée sur un point très technique de droit des successions pour déclarer cette action irrecevable.
En théorie, à l'article 34 de la classique loi du 29 juillet 1881 sanctionne les « diffamations ou injures dirigées contre la mémoire des morts ». Les héritiers peuvent en apparence attaquer, mais seulement « dans les cas où les auteurs de ces diffamations ou injures auraient eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants. »
Vie privée
Il faut donc aux héritiers démontrer que les allégations problématiques ont pour but de discréditer également leur propre réputation, ce qui reste, au vu de la jurisprudence, un exercice assez périlleux. Les conditions posées, qui sont appliquées très restrictivement par les juridictions, conduisent à ce que les ayants-droits ne puissent poursuivre que si leur propre honneur est mis en cause, c’est-à-dire en pratique que dans les cas où ils sont eux-mêmes diffamés par les imputations litigieuses.
Quant aux autres fondements imaginables, ils sont, là encore très ténus.
Rappelons en effet que l’article 9 du Code civil, sur lequel repose à la fois le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image, dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Mais la loi reste muette sur ce respect après le décès de la personne visée.
Fort de ce silence, la jurisprudence considère que l'action en respect de la vie privée n'appartient qu'aux intéressés de leur vivant.
La Cour d'appel de Paris a, par exemple, très clairement indiqué, en 1986, après le décès de Gérard Lebovici, que la publication d'une information ne peut « être qualifiée d'atteinte à la vie privée de cette personne, dès lors qu'elle était décédée au moment de sa publication. Cet article ne constitue pas d'avantage une atteinte à la vie privée de l'épouse et de son fils puisqu'il ne fait pas état du comportement ou des habitudes de vie de ces derniers et ne mentionne que les fréquentations douteuses de ce dernier. ».
De même, il existe une grande tolérance des tribunaux lorsque les intérêts historique, littéraire ou encore d'actualité qu'il peut y avoir à rectifier la biographie officielle d'une personnalité décédée sont en jeu.
Historique de vie
Le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi, le 19 mai 2000, jugé qu'une action intentée contre un éditeur devait être rejetée, au motif que « s'agissant essentiellement d'événements historiques pour lesquels les tribunaux n'ont pas mission d'arbitrer et de trancher les polémiques ou controverses qu'ils sont susceptibles de provoquer, l'historien ayant, par principe, toute liberté pour exposer, selon ses vues personnelles, les faits les actes et les attitudes des hommes (...) même si les écrits ont pu être ressentis de manière déplaisante par les requérantes, en donnant de leur père une image complexe non conforme à celles qu'elles voudraient voir transmettre. »
En revanche, le respect de la vie privée des survivants peut parfois être violé à l'occasion d'une publication visant en premier chef un mort célèbre.
Par ailleurs, le 20 décembre 1999, la Cour de cassation s’est prononcée sur la publication de la photographie du cadavre du préfet Claude Erignac. Elle a considéré que : « la photographie publiée représentait distinctement le corps et le visage du préfet assassiné, gisant sur la chaussée d’une rue », cette image étant dès lors « attentatoire à la dignité humaine ».
Ce point de vue est à rapprocher de celui qu'a adopté la Cour de cassation, le 20 octobre suivant, à propos des clichés du corps de François Mitterrand sur son lit de mort.
Fin de vie digne
C’est ainsi que, au fil des décisions rendues depuis une vingtaine d’années en la matière, apparait une limite à l’exception d’actualité, constituée par le caractère attentatoire à la dignité de la personne humaine représentée. C’est encore ainsi que, le 20 février 2001, la Cour de cassation a jugé licite la publication par un hebdomadaire de la photographie d’une victime d’un attentat, au motif que la liberté d’expression et les nécessités de l’information rendent légitime le compte-rendu de l’événement, dans la mesure où le cliché est dépourvu de toute recherche de sensationnel et de toute indécence, ne portant pas ainsi atteinte à la dignité de la personne représentée.
Reste le sort des images des morts que les enfants peuvent vouloir monnayer. Or, la Cour d’appel de Paris a, le 6 novembre 2013, admis qu’il était possible de céder son droit à l’image de son vivant mais que, celui-ci, s’éteignant lors du décès, les héritiers n’avaient donc pas le possibilité d’autoriser des tiers à en faire usage.
Au final, ne demeurent à disposition que les revendications portant sur le droit d’auteur. Les droits patrimoniaux de l’œuvre d’un défunt lui survivent en effet durant soixante-dix ans. Aux ayants-droits de traquer dans telle ou telle biographie l’utilisation d’un texte ou d’une création artistique qui dépasserait le cadre des exceptions, telles que la courte citation, prévues par la loi. Et donc aux éditeurs de ne pas prêter le flanc à une attaque s’appuyant sur le droit de la propriété intellectuelle.