22 AOÛT - PREMIER ROMAN France

Aurélien Bellanger- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Débarrassons-nous tout de suite de la référence houellebecquienne : Aurélien Bellanger a beau avoir consacré en 2010 un essai à l'oeuvre de l'auteur des Particules élémentaires (Houellebecq, écrivain romantique, Léo Scheer), le rapprochement ne devrait pas empêcher le romancier débutant de se démarquer de cet écrasant modèle avec cette passionnante Théorie de l'information, premier roman dont on peut prédire sans risque qu'il va constituer l'une des sensations de cette rentrée.

Dans une narration mate, d'une neutralité clinique, dense comme les fictions documentées, le trentenaire raconte, avec une dextérité méthodique, une histoire universelle et contemporaine de la révolution numérique, une irréversible épopée technologique, humaine et sociale, vue à travers la trajectoire d'un de ces pionniers, Pascal Erlanger, personnage librement inspiré du milliardaire français Xavier Niel, le fondateur de Free.

Livre à multiples variables, à la fois récit chronologique d'un itinéraire singulier et mise en perspective historico-sociologique, La théorie de l'information offre une vision mêlant passé et anticipation, digne des meilleurs récits de science-fiction. C'est l'odyssée entamée dans les années 1970, dans un pavillon de Vélizy, dans la chambre d'un garçon de la classe moyenne, asthmatique, complexé et solitaire, qui connaît très tôt ses premières émotions de programmateur-bidouilleur inspiré. Premier geek d'un temps où le mot n'existait pas encore. Très vite, ayant abandonné les études, tout juste majeur, il rencontre deux des acteurs clés de sa vie, des personnages à la marge de son monde d'informaticien autodidacte : le propriétaire d'un sex-shop parisien, une danseuse de peep-show... Faisant d'abord fortune dans le Minitel rose, il accompagne ensuite toutes les étapes de l'avènement d'Internet, imposant en vingt ans une image de chef d'entreprise pirate, d'outsider rebelle.

Tout est réuni pour faire de ce roman, où l'on croise la plupart des figures réelles du capitalisme mondial et de la politique de ces quarante dernières années, une ébouriffante saga qui manipule le chaud (sexe, passions amoureuses et argent) et le froid (machines et "boîtes"), pour donner corps à ce bon vieux fantasme de toute-puissance, d'ambitions démiurges de "numérisation ultime du monde".

Le destin de notre Zuckerberg local, alchimiste virtuel, est entrecoupé de points techniques qui décrivent un certain nombre d'expériences et de théories dont celle de Claude Shannon, mathématicien américain ingénieur pour les laboratoires Bell (mais aussi jongleur), père de la fameuse théorie de l'information. On est sûr de ne pas avoir tout compris à la langue philosophico-scientifique de ces notes, mais ce n'est pas important : c'est même de ce côté ésotérique que naît une poésie hermétique qui fait ressentir la "féerie" d'un espace où les mathématiques rejoignent la mystique.

VÉRONIQUE ROSSIGNOL

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