Depuis Saudade (La Table ronde, 1991), la violence a toujours irrigué les romans de Stéphane Guibourgé. Les fils de rien, les princes, les humiliés, qui marque son arrivée chez Fayard, est son texte le plus accompli à ce jour. Le plus douloureux et habité aussi. Un homme de 47 ans retape une ruine à l’intention de son fils. Il a tué, purgé une peine de prison. Puis il a disparu dans une vallée d’altitude où il tient sa jeunesse à l’écart autant qu’il le peut. Aucune nostalgie chez lui, juste de la honte.
A l’époque, dans une France qui comptait deux millions cinq cent mille chômeurs, tous avaient entre 16 et 20 ans. Ils venaient des mêmes banlieues, de l’autre côté du périphérique. La "Meute" leur servait de famille. Il y avait là Lev, le leader, mais aussi Markus, Pierrot, Tintin et Falco, le héros de Stéphane Guibourgé. Avec leurs rangers lacés haut, leurs bombers sombres, leurs tee-shirts blancs, ils mélangeaient vitesse et violence, amphés et alcool. Avant de faire le coup de poing dans les stades, les manifestations. De "casser du bicot, défoncer des youpins", d’"humilier des pédés, des gauchistes, desbranleurs".
Animés par la haine, l’envie de faire mal, les membres de la Meute étaient "des clebs emplis de rage". D’abord sonné par la prose au rasoir de l’auteur du Train fantôme (Flammarion, 2001), le lecteur apprend à connaître Falco. Fils d’un ouvrier de l’usine Citroën à Poissy, un être laminé qui le lattait, il ne s’est jamais remis de l’absence de Paul, son frère disparu sans un mot. Jeune homme, Falco écoutait les Undertones et Springsteen, lisait Kerouac et Drieu la Rochelle. Il a commencé à traîner avec les frères Wüssenacht, à voler des voitures - des "Mercos" classe E et S, des "béhèmes" série 5 et 7. Puis il a cherché à noyer sa peur dans le sang au point de tomber dans l’abîme…
Terriblement noir, mais aussi étonnamment lumineux, Les fils de rien, les princes, les humiliés vous heurte et vous éblouit. On en sort aussi groggy qu’épaté par la force qui s’en dégage. Al. F.