Il y a quelques années, peu de temps après la mort de sa mère, "le dernier membre de sa famille", Colin Thubron a entrepris un nouveau voyage au mont Kailash. A la fois un trek épuisant en très petit équipage, presque en solitaire avec juste un guide tamang, Iswor, et un cuisinier, parlant à peine anglais, et un pèlerinage "pour ses morts ». Il nous en livre le récit - paru l'année dernière en Angleterre - épique, intime, et, bien entendu, érudit.
Se lancer, à 70 ans, dans une expédition qui part de Simikot, au Népal, traverse la frontière du Tibet, passe par des cols comme celui de Thalladong, à 4 500 mètres d'altitude, avant d'atteindre la base du mont Kailash et de se lancer dans son grand tour (45 kilomètres à pied) relève de l'exploit. Sur quoi, à sa façon, Colin Thubron n'insiste ni ne s'apitoie. "Never complain", ou plutôt "explain", pourrait être sa devise. Il préfère nous montrer les conditions de vie misérables des autochtones népalais dont il est l'hôte. Ainsi la famille de Lauri, à Tuling, très inquiète de voir les maoïstes saper patiemment tous les fondements de son pays. Quant aux Tibétains, le voyageur ne peut que compatir face à un peuple qui lutte contre son anéantissement programmé par le gouvernement chinois.
A ce titre, le choix du mont Kailash est puissamment symbolique. Puisque, seul de tous les hauts sommets de l'Himalaya à n'avoir jamais été escaladé, par respect, il est la montagne magique des hindous et des bouddhistes, soit le tiers de l'humanité. Pour les premiers, en particulier, en effectuer le grand tour, ou parikrama, c'est progresser vers le moksha, l'équivalent du nirvana bouddhiste. Dans l'hindouisme, le Kailash constitue la demeure du dieu suprême, Brahma, qui offre leur source aux quatre fleuves sacrés de l'Inde : l'Indus, le Gange, le Sutlej et le Brahmapoutre.
C'est le centre du monde, un endroit propice à la méditation sur des sujets essentiels : la vie, la mort, la vanité des entreprises terrestres, mais aussi le dépassement de soi. Exercice à quoi s'abandonne Thubron, bien sûr, évoquant ses parents : son père, officier anglais débarqué en Inde à 21 ans, en 1925, et, entre autres, grand chasseur. Le petit Colin a passé son enfance dans le manoir Tudor familial, à lire, allongé sur des peaux d'ours ou de tigres, trophées paternels. Comment, dans de telles conditions, ne pas devenir voyageur, écrivain... et plutôt écologiste ! Comme sa mère, qui n'aimait pas la chasse mais respectait le glorieux passé de son époux.
Tout cela est plein d'humour, de tendresse, de talent. Colin Thubron le gentleman-traveler mérite amplement d'avoir été distingué par le Times parmi les 50 meilleurs écrivains anglais de l'après-guerre.