DÉCÈS

Il y avait la voix, grave ; le propos, ferme ; la conviction, intense. Jorge Semprún était resté fidèle aux grands engagements de sa vie. Tout d'abord en faveur de la culture, qu'il a servie en Espagne comme ministre dans le gouvernement socialiste de Felipe Gonzales de 1988 à 1991, et en France comme membre influent de l'académie Goncourt à partir de 1996.

Photo OLIVIER DION

Né à Madrid en 1923 dans une famille qui fuit le franquisme, c'est à Paris qu'il étudie la philosophie à la Sorbonne, s'engage dans la résistance communiste et se consacre à la littérature. En 1943, il est arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald. Cette épreuve constituera la matrice d'une oeuvre multiple où l'on trouve des romans (La deuxième mort de Ramon Mercader, prix Femina 1969), des pièces de théâtre (Le retour de Carola Neher), des scénarios de cinéma (Stavisky d'Alain Resnais ou Z et L'aveu de Costa-Gavras), des essais (Mal et modernité) et des autobiographies dont L'écriture ou la vie (1994), récit de son expérience des camps qui lui vaudra une reconnaissance internationale.

Au sein de l'académie Goncourt, Jorge Semprún, qui considérait la langue française comme sa seconde patrie, a aussi défendu ses opinions, sur ce que la littérature pouvait nous dire de l'histoire. Il avait ainsi soutenu le premier roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes, en 2006 et défendu celui de Yannick Haenel, Jan Karski, qui avait reçu le prix Interallié en 2009 et qui avait été mis en cause par Claude Lanzmann au regard de certaines libertés que la fiction ne pourrait pas prendre avec l'histoire.

L'année dernière, à l'occasion de la parution d'Une tombe au creux des nuages, qui sortira en octobre en poche (Champs-Flammarion), Jorge Semprún réaffirmait dans Livres Hebdo (1) que le roman maintenait la mémoire vivante : "L'expérience des camps nazis est une expérience singulière. En faire un sujet de roman requiert des précautions d'usage, mais je reste persuadé que seule la littérature peut endosser cette mémoire à l'adresse des générations suivantes et la rendre vivante. » Comme Camus, Orwell, Koestler, Istrati, Rushdie ou Nizan, Jorge Semprún nous rappelle que la littérature est fondée sur une permanente reconstruction et qu'elle nous interroge sur le sens que nous donnons à nos engagements, c'est-à-dire à nos vies.

(1) Voir LH 807, du 5.2.2010, p. 16.

31.05 2016

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