7 MAI - ESSAI Grande-Bretagne

Il y a des livres qui pensent et ceux qui font penser. George Steiner a donné dans les deux catégories. Cette fois, il s'agit de la seconde. A 83 ans, ce grand intellectuel formé à la curiosité féconde de la Mitteleuropa, titulaire d'une chaire de littérature comparée à l'université de Cambridge, fait une sorte de bilan.

A l'instant où la vie regarde la mort, l'essayiste se fait volontiers philosophe. Il nous propose une sorte de conversation entre la sagesse antique incarnée ici par Epicharme d'Agra, moraliste du IIe siècle avant J.-C. qui semble sorti son imagination, et le monde moderne.

A l'aide de ce levier, l'écrivain soulève bien des questions. Celle de l'histoire humaine "faite de gaspillages et d'incommensurables souffrances". Comme Walter Benjamin, il demeure fasciné et horrifié par le fait que la culture la plus haute ne puisse servir de rempart à la barbarie à cause de "la réalité ontologique et autonome du mal". On trouvera dans ce livre inédit le territoire favori de Steiner, celui des livres, ainsi qu'un bel éloge de l'amitié, "la prime de la vie humaine, sa gratification imméritée", mais aussi "tueuse d'amour" car elle tend à faire la critique d'éros.

Et puis il y a thanatos, la mort qui est "maîtresse en démocratie" avec le mal en maître de ballet de la condition humaine. Steiner reprend volontiers la formule de Thoreau sur la vie menée comme un "désespoir tranquille". "Du meurtre de Caïn aux chambres à gaz et à l'incinération nucléaire, qu'est notre histoire, sinon une chronique de l'inhumain ?" Ce polyglotte né à Paris de parents juifs autrichiens sait de quoi il parle. Et il parle de ce qu'il sait. La littérature, bien sûr, la musique qui l'enveloppe, la science qui le fascine et l'économie qui le désole avec cet argent qui a trop souvent l'odeur du sang. "La seule notion de richesse est saturée d'ambiguïté. L'économie de la sainteté est celle du mendiant."

Celui qui a toujours savamment distillé ses chroniques dans le New Yorker ou dans le Times Literary Supplement et prudemment accordé des entretiens assène : "Aucun philosophe sérieux ne devrait être riche." Et il se moque volontiers. "Des intellectuels de haut vol dansent comme des animaux de cirque dès que les médias font rutiler leurs honoraires." Il émet aussi quelque doute sur l'athéisme, "phénomène tardif, peut-être lié à l'effondrement du monde antique". Avec l'âge on devient prudent...

Que tirer de tout cela ? "La découverte la plus capitale dans l'histoire de l'homme est celle de la mort." C'est pour cela qu'il a inventé la vie. Un temps plus ou moins long qui peut être le pire comme le meilleur. "Pourquoi se soumettre aux épreuves de la vie quand il n'y a pas moyen d'échapper à la mort ?" Savoir la mort devant soi n'entraîne pas le refus de la vie, au contraire. C'est le message - s'il y en a un - de ces confessions en forme de testament stoïque.

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