Si la politique se médicalise ces derniers temps, la médecine s'est aussi politisée dans le passé. En 1850, un chirurgien américain invente une maladie mentale, la drapétomanie dont souffrent selon lui les esclaves noirs et qui se caractérise par « l'irrespect de la propriété du maître ». On aurait pu espérer cette théorie raciste disparue. Mais Jonathan Metzl montre combien cette vision a ressurgi pendant le mouvement des droits civiques américains dans les années 1960-1970 avec l'idée que les Noirs étaient plus schizophrènes que les Blancs. Pour appuyer sa démonstration le psychiatre américain a dépouillé les archives de l'hôpital d'État d'Iona dans le Michigan qui, avant de devenir une prison, a accueilli pendant des décennies les criminels pénalement irresponsables.
De 1920 à nos jours, Jonathan Metzl dévoile comment la couleur de peau est devenue un marqueur d'une prétendue schizophrénie qui se manifeste par un comportement agressif et asocial. Certains ont même voulu voir dans cette caractéristique une « réaction aux idéaux racistes et violents émanant de la société blanche au sein de laquelle ces corps vivaient et travaillaient ». Ainsi les Blancs rendaient-ils les Noirs fous avant de les interner ! « Définir la révolte noire comme pathologique était bien plus avantageux que de prendre au sérieux ses causes et ses revendications. »
La couleur de peau était devenue pour des médecins un symptôme qui autorisait l'identification d'une maladie. « Ainsi les détenus noirs américains d'Iona sont-ils devenus schizophrènes non pas à cause d'un changement au sein de leur tableau clinique, mais bien à cause d'une évolution des associations entre ce tableau et les conceptions collectives plus larges en matière de race, de violence et de folie. »
Pourtant la schizophrénie existe, elle fait souffrir. Jonathan Metzl ne prétend pas le contraire. Mais il montre comment une maladie bien réelle a pu être réinventée à travers un diagnostic qui devient la métaphore de la situation raciale aux États-Unis. Son enquête grave et douloureuse est nourrie de nombreux cas poignants tirés des dossiers médicaux, des destins brisés par la relation qui a été faite entre schizophrénie, criminalité et violence dans le cadre d'une médecine envisagée comme un outil de domination sociale. Comme pour le film Shock Corridor, de Samuel Fuller, on ne sort pas indemne d'une telle lecture.
Étouffer la révolte : la psychiatrie contre les Civil Rights, une histoire du contrôle social Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Bargel et Alexandre Pateau
Autrement
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 23,90 € ; 400 p.
ISBN: 9782746753952