18 AOÛT - ROMAN France

Carole Martinez- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Les débats sur l'autofiction, Carole Martinez ne risque pas d'y participer. Voilà une romancière à l'imaginaire tourné vers des "jadis et des naguère", des autrefois de légendes et de superstitions, qui offre sa prose de conteuse flamboyante à des femmes extraordinaires qu'elle sort des coins sombres de l'Histoire. Le coeur cousu, son premier roman paru en février 2007, succès inattendu, racontait le destin à la fin du XIXe siècle de l'Andalouse Frasquita, épopée inspirée d'une de ses ancêtres. Ici, la romancière remonte plus loin encore pour prêter sa voix à une « héroïne » d'il y a huit siècles.

Oyez, oyez l'histoire de "la vierge des Murmures », Esclarmonde, fille d'un seigneur de Bourgogne, qui en l'an 1187, à 15 ans, choisit d'être emmurée vivante et tenue prisonnière à vie dans une cellule pour échapper au sort commun des femmes d'alors qu'elle connaîtrait en épousant le brutal Lothaire, benjamin de la famille du château de Monfaucon. Une toute jeune fille qui se tranche l'oreille le jour de son mariage pour signifier son refus de n'être "qu'un pudique récipient que les grossesses successives finiraient par emporter ».

Le château-forteresse des Murmures se dresse en haut d'une falaise abrupte surplombant la Loue et ses eaux vertes. Le maître des lieux fait construire la prison de son unique fille contre les murs de la chapelle édifiée en l'honneur de sainte Agnès, devenue martyre à 13 ans pour n'avoir voulu d'autre amant que le Christ. La tombe est plutôt « confortable », du moins selon les critères de l'époque : une cheminée, une "fenestrelle » barrée de grilles et équipée de volets qui permet à la recluse de voir l'érable de la cour, et même un bout de ciel. Un "hagioscope » a été percé dans le mur mitoyen de la chapelle, trou par lequel elle peut voir l'autel et entendre les voix. Une servante attachée à son service la nourrit, et la paille de la fosse où elle dort est changée régulièrement... L'emmurée prie presque nuit et jour.

On ne va pas aller plus loin dans la suite de l'histoire pour ne pas rompre le charme de l'enchaînement des événements naturels et merveilleux qui surviennent au domaine des Murmures pendant les cinq premières années d'enfermement de la pieuse, ni dévoiler pourquoi la jeune fille devient prophétesse, le mari refusé se métamorphose en poète, le père part pour les croisades et la mort déserte le fief... En trouvère contemporaine, Carole Martinez ménage les effets des sortilèges de son récit. Faisant notamment de cette expérience mystique une découverte sensuelle, charnelle. De son réduit, Esclarmonde vit plus de vies que si elle était dehors, et la vue d'une fraise des bois, aperçue de sa fenêtre, lui apparaît comme "l'infini à portée de bouche ».

Carole Martinez sertit dans ses phrases enluminées la parole des femmes de ce temps-là, imaginant leur vie sous tutelle éternelle, leurs rêves de liberté, cette histoire floue des "dames du XIIe siècle », "un reflet, vacillant, déformé », comme le dit en exergue le médiéviste Georges Duby. Tendez l'oreille avec elle, au-dessus du gouffre des siècles, pour "y puiser les voix liquides des femmes oubliées ».

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