Retour de Buenos Aires, et coup de chapeau à cette ville inouïe et à ses innombrables librairies qui croulent sous les titres et on vous accueille avec tant de bonhomie. Retour à Paris, donc, et petit coup de gueule, comme on dit sur les ondes, à la lecture de la presse que j’avais laissée s’entasser. Les éditeurs ont été plus raisonnables que l’an passé. Sans aller jusqu’au malthusianisme, ils ont évité d’accroître le nombre des nouveautés qui déferlent en librairie à chaque nouvelle rentrée littéraire (cette année, on nous annonce 676 nouveaux romans contre 727 l’an passé). Bonne nouvelle : même si le refrain du « trop de livres » lasse un peu (d’Emile Zola à Gabriel Zaid, nombreux sont ceux qui s’en sont plaints), on ne peut que faire le constat que l’excès produit des coûts, et qu’en mettant tant d’ouvrages en concurrence on laisse fort peu de chances aux livres inattendus de percer au milieu des vedettes. Bien sûr, il y a et il y aura toujours une Muriel Barbery débutante un jour et devenue la reine des listes de best-sellers, pour tant d’inconnus renvoyés à leur production solitaire, mais la place est chère et rare. Tous les éditeurs et les auteurs le savent. On dit souvent des industries culturelles qu’elles ont cela d’étonnant qu’on y gère les crises par la surproduction. Ce coup d’arrêt –relatif- à la surabondance est peut être bon signe. Sera-t-il durable ? Alors pourquoi ce coup de gueule ? Parce que cette petite baisse ne semble pas changer grand chose à la règle qui veut que l’on parle de ce qui marche déjà (ou qui est supposé le faire) plutôt que de ce qui étonne. J’ouvre donc, parmi d’autres, le journal Les Echos , dont j’apprécie souvent la qualité des pages Culture : page 8, donc, rubrique Rentrée littéraire (21 août), deux articles : « L’impudeur fleur bleue » (vous l’aurez deviné, sur le dernier roman de Christine Angot), et « Champagnes sans bulles » (« distrayant », nous dit-on, sur le dernier roman d’Amélie Nothomb). Soyons honnête : le quotidien Les Echos n’est guère le seul à parler de celles et ceux dont tout le monde parle. Les médias se font tous un devoir de rendre longuement compte des nouveautés des auteurs qui ne sont pas nouveaux. Pourquoi pas, pourrait-on dire. Mais comme l’espace rédactionnel est très resserré, les livres des auteurs moins connus ont toute chance de passer aux oubliettes. D’autres jours sont consacrés aux premiers romans, mais si peu, et pour tant de redondances inutiles et ennuyeuses ! Et notons au passage que la rubrique premier roman n’est pas la seule manière de parler du neuf… Et c’est bien dommage. Allons, avec 676 romans, ce n’est pas encore la pénurie, il y a sûrement des pépites à dénicher, et il n’est pas sûr que les acheteurs/lecteurs n’aient pas envie qu’on les mène vers des territoires qu’ils hésitent à explorer si on ne leur indique pas quelques directions et quelques idées. Sans doute est-ce là le travail du libraire, mais aussi celui de tous les critiques. En matière musicale, un peu parce que les prescripteurs traditionnels omettaient de le faire, la circulation d’une large part de l’information sur les nouvelles créations a glissé vers les communautés virtuelles, sur le Web.