Vies fracassées, destins brisés ou révélés, rencontres inopinées… Les guerres sont toujours le vivier de récits exceptionnels. De l’Histoire, les romanciers font jaillir des visages familiers et des tragédies intimes. Avec une vingtaine de romans à paraître dont l’action se déroule pendant un grand conflit, la rentrée littéraire 2020 prouve une fois de plus que les guerres sont un territoire fertile de l’imagination. Non, bien sûr, pour en faire l’apologie, mais plutôt pour honorer les braves, les petits et les rêveurs qui se sont un jour retrouvés pris dans le brasier des hommes.
Dans l'Antiquité, ce sont eux qui auraient déchu la reine Briséis de Lyrnessos, victime de la guerre de Troie, réduite en esclavage par les grecs. Dans Le silence des vaincues (Charleston, août), la lauréate du Booker Prize 1995, Pat Barker, retrace le conflit mythique à travers les yeux de la souveraine, dans une Iliade féminine rédigée dans le style homérique. Quelques siècles plus tard, au Moyen-Age, les yeux des vikings, eux aussi au bord de l'extinction, se tournent vers les terres normandes. Dans les bras d’Odin de Philippe Olagnier, relate les conflits et les échanges de cette tribu du nord avec les chrétiens.
De la Révolution à l'entre-deux guerres
Les deux principaux événements qui ont mis fin à l’Epoque moderne, la Guerre d’indépendance américaine et la Révolution française, font l’objet de deux récits à paraître à la rentrée. Dans L’aube de la liberté (Champs-Elysées-Deauville, octobre), Florence Ferrari relate les événements qui précèdent l’arrivée de La Fayette en Amérique, sur fond de complots et de sociétés secrètes. Le héros du roman de Gabriel Privat, Le portrait de Martin Sommervieu (Téqui, août), cadre bancaire en pleine crise de la quarantaine, va quant à lui plonger dans l’histoire de sa famille et découvrir son implication dans les guerres de la Chouannerie durant la Révolution.
Un peu plus d’un siècle plus tard, en 1917, la famille Lemieux est rattrapée par la guerre dans le roman de Kristen Harnisch, Les héritiers du maître de chai (Archipel, septembre, traduit de l’anglais par Jacqueline Odin). Luc, le fils adoptif de la famille et héritier du domaine viticole, accueille des Poilus en partance pour le front et souhaiterait lui-même se battre.
Conséquence de la Première Guerre mondiale et de la montée des nationalismes après la crise économique de 1929, la guerre civile espagnole a inspiré l’intrigue du roman de Patrick Fornos, L’eau des deux rivières : Angel (Balzac éditeur, août). Dans la Catalogne rurale des années 1920, Colette, issue d’une famille modeste, grandit dans l’insouciance jusqu’à être rattrapée par le conflit qui consume son pays, et Angel passe sa vie à se chercher, embrasse toutes les idéologies, jusqu’à se briser.
Récits de femmes
La Seconde Guerre mondiale fait l’objet d’au moins dix romans de la rentrée. Six d’entre eux sont consacrés à des destins de femmes, tragiques ou rebelles. Dans Inge en guerre de Svenja O’Donnell (Flammarion, août, traduit de l’anglais) et La race des orphelins d’Oscar Lalo (Belfond, août), des vieilles dames allemandes confrontées à la débâcle du IIIe Reich confient leurs souvenirs à un personnage.
Le journal d’Anna, ma mère de Monique Etienne (Moissons Noires, septembre), offre également le récit d’une vie, celle d’une femme en révolte contre les conventions de la société. Anna, l'heroïne, tombe amoureuse de Frantz, un Allemand, alors que la Seconde Guerre mondiale a éclaté. Tardivement, elle prend conscience de la nature du nazisme.
Les femmes de l'ombre
Il y eut aussi, pendant la guerre, le soutien crucial des femmes - à l’usine, mais aussi dans les opérations, la Résistance et par la désobéissance. La chasse aux âmes de Sophie Blandinières (Plon, août) narre ainsi le destin de trois femmes, une Polonaise, Janina, et deux juives, Bela et Chana, qui organisent un réseau clandestin pour faire sortir des enfants juifs du ghetto.
La femme qui en sait trop de Marie Benedict (Presses de la cité, octobre, traduit de l’anglais) s'attarde sur la vie de la véritable Hedy Lamarr, superstar d’Hollywood et conceptrice d’un système révolutionnaire de codage des transmissions dont elle fit bénéficier l’effort de guerre américain. L’héroïne allemande de La messagère de l’ombre de Mandy Robotham (City, septembre, traduit de l’anglais) est également une spécialiste des communications. Stella travaille le jour comme dactylographe pour le Reich mais la nuit, elle devient messagère pour la Résistance, transmet des informations sur les nazis et rédige un journal clandestin sur sa machine à écrire.
Quête de sens et romance
D’autres auteurs s’appuient sur le tumulte du second conflit mondial pour raconter des récits plus existentiels autour de la quête de sens. Blessé pendant la Première Guerre mondiale, le personnage principal d’Animus de Jean-Baptiste Ferrero (Ramsay, août), découvre qu’il a désormais le pouvoir de s’emparer du corps des autres et se met en quête de revanche. Il visitera ainsi les tranchées et se rendra dans les camps de concentration nazis. Le protagoniste de Frères de l’ombre de Nadia Hathroubi-Safsaf (Zellige, octobre), s’engage quant à lui dans les tirailleurs sénégalais pour éclaircir la vérité sur la mort de son père, fusillé pour désertion.
Le seul véritable récit de combat se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale porte moins sur les combats de mitraillettes que sur la nature de l’homme lorsqu’il est dos au mur. Piégé dans la poche de Dunkerque, le héros de Pour les enfants de Gilles Cervera (Vagamundo, octobre), a quinze jours pour s’extirper de sa situation, et cinq semaines avant de mourir de la grave maladie dont il est atteint.
Reliquats du conflit mondial et de la colonisation, les guerres de la deuxième moitié du XXe siècle ont moins captivé l’attention des romanciers, qui ne leur consacrent à la rentrée que trois ouvrages : une romance pendant la guerre d’Algérie (Les bleus étaient verts d’Alain Jaspard, Héloïse d’Ormesson, août), une histoire métaphysique et romantique sur un soldat énigmatique pendant la guerre du Liban (Le métier de mourir, Jean-René Van Der Plaetsen, Grasset, septembre) et un road trip de joyeux musiciens pris sous les bombes des guerres de Yougoslavie (Allegro barbaro, Philippe Val, L’observatoire, septembre)