Le Front national a suscité quantité de livres et d’articles. Valérie Igounet l’a pris comme objet historique. Cette spécialiste de l’extrême droite et du négationnisme, auteure d’une Histoire du négationnisme en France (Seuil, 2000) et de Robert Faurisson, portrait d’un négationniste (Denoël, 2012), a voulu comprendre comment le Front national est devenu en quarante ans la troisième force politique en France et comment il a instillé ses idées dans la société française.
Outre l’exploration des ouvrages, de la presse et des archives, son travail a bénéficié d’entretiens avec des membres ou des ex-membres du FN comme Bruno Mégret, Lorrain de Saint Affrique ou Jean-Marie Le Pen lui-même. Cette chercheuse associée à L’institut d’histoire du temps présent (IHTP) montre bien comment ce parti, qui pouvait tenir ses réunions dans une cabine téléphonique au début des années 1970, est devenu une formation politique de premier plan au moment où la gauche arrive au pouvoir en 1981. François Mitterrand, pourtant aguerri, sous-estima Jean-Marie Le Pen pour qui le passage à "L’heure de vérité" en 1984 fut le sésame médiatique.
Valérie Igounet revient aussi sur les "petites phrases" du président fondateur : les "sidaïques" à mettre dans des "sidatoriums", le jeu de mots douteux sur "Durafour crématoire" et bien sûr la Shoah considérée comme un "détail" de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. "En quarante ans de vie publique, c’est la plus grosse connerie qui soit sortie de ma bouche", confie-t-il. Pourtant, la provocation apparaît bien comme un pilier de la stratégie politique de Jean-Marie Le Pen, une sorte de culture bistrot où l’outrance fait office de programme.
Après le séisme du 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen change. Veut-il vraiment être président ? Tout laisse à penser que non. Mais les énarques commencent à renifler l’odeur du pouvoir autour de Marine Le Pen et à envisager très sérieusement le FN comme tremplin politique.
Ce qui est passionnant dans l’enquête de Valérie Igounet, ce sont les planètes de la galaxie Le Pen : les anciens collabos, les anciens de l’Indochine ou de l’OAS, les anciens cathos intégristes, les anciens communistes reconvertis comme Alain Soral, les anciens comiques comme Dieudonné, beaucoup d’anciens quelque chose. La chronologie et les notices biographiques proposées en fin de volume révèlent que le logiciel d’extrême droite n’a pas changé depuis 1972. Il n’a bénéficié que de mises à jour, mais le moteur est d’origine.
Ni à charge ni à décharge, l’étude de Valérie Igounet se distingue par son regard de généalogiste. Elle explique comment la branche Le Pen a fini par prendre de la place dans la famille France et à s’imposer dans toutes les réunions importantes. Voilà pourquoi son livre devrait aussi être aussi utile aux citoyens qu’aux partis politiques. Laurent Lemire