13 OCTOBRE - ROMAN Grande-Bretagne

Premier de ses livres traduit au Fleuve noir, Une ombre japonaise est le dixième roman de Lee Langley, écrivaine bourlingueuse et cosmopolite, née en Inde, et qui s'intéresse à toutes les cultures, notamment asiatiques. Elle a été lauréate du Commonwealth Writer's Prize, ce qui ne nous surprend pas : son roman est ambitieux, brillant et totalement actuel.

Tout en modifiant nombre de paramètres, Lee Langley a eu l'idée de s'approprier l'histoire de Cho-Cho, alias Madame Chrysanthème, une "hôtesse de maison de thé" de Nagasaki. Dans le roman de Loti (Madame Chrysanthème, colossal best-seller en 1887), puis dans l'opéra qu'en a tiré Puccini (Madame Butterfly, bide retentissant en 1904), la jeune Japonaise, amoureuse de son officier de marine français, se suicide lorsqu'il la quitte et se réembarque. Dans Une ombre japonaise, c'est en 1920 que Cho-Cho tombe amoureuse du jeune Benjamin Franklin Pinkerton, un marin américain. Avec la complicité de son consul, Sharpless, il feint de se marier, lui fait un enfant et s'en retourne, promettant de revenir. Cinq ans plus tard, il réapparaît, mais avec sa fiancée, Nancy, la nièce méthodiste du consul, qui n'est au courant de rien. Face à la mère japonaise effondrée, Pinkerton envoie lâchement la très compréhensive Nancy pour ramener avec eux son fils, Sachio (son prénom signifie "la joie", transposé en Joe). L'enfant croit que sa mère est morte et que c'est pour son bien que les gaijin l'emmènent au-delà des mers. A Portland, Oregon, il deviendra un parfait petit Américain. Benjamin Pinkerton et Nancy l'élèvent comme le fils qu'elle n'aura jamais. Lorsque survient le krach de 1929, Pinkerton perd tous ses biens, et s'en va protester à Washington, où il meurt sous les coups des soldats envoyés par le général MacArthur.

Joe, séduisant et brillant jeune homme triste, veut devenir archéologue. Mais après Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, les Etats-Unis, désormais en guerre contre le Japon, arrêtent et déportent dans des camps de travail tous leurs binationaux nippons, dont la plupart sont nés aux Etats-Unis et autant américains que les Américains "pur souche". Le seul moyen d'en sortir : devenir soldat, se racheter en se battant pour l'Amérique. Joe s'engage dans les GI. Il est envoyé au casse-pipe en Italie, puis en France. Il en réchappe et rentre chez lui, marqué à vie.

Et puis survient l'impensable : les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Horrifié, rongé par la culpabilité, Joe, qui ne sait plus à quel monde il appartient, revient dans Nagasaki en ruine, où il apprend la vérité sur son "kidnapping". Mais sa mère, si elle n'est pas morte en 1925, qu'est-elle devenue ?

Tissant les fils de soie de son intrigue avec une habileté tout orientale, Lee Langley a réussi avec Une ombre japonaise un fort beau roman. Loti, dont les problématiques étaient déjà très modernes, se voit ici revisité, transposé, ressuscité.

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