Dès les premières lignes de J’ai perdu tout ce que j’aimais, titre emprunté à Alain Souchon et bien en situation, nous voici prévenus : « Je serai mort à la fin de ce livre. » Et en effet, à la fin, le narrateur tient parole. Mais de quel Sacha Sperling s’agit-il, sachant que ce nom est le pseudonyme choisi par un tout jeune écrivain, 19 ans à l’époque, pour échapper au poids d’une hérédité assez pesante, apparemment, du côté du cinéma. Le Sacha qui meurt ne serait-il pas la « petite vedette littéraire » grisée par le succès stupéfiant de son premier roman (Mes illusions donnent sur la cour, paru chez Fayard en 2009) et meurtrie par l’insuccès de son deuxième, Les cœurs en skaï mauve (Fayard toujours, en 2011), sort que, selon nous, il ne méritait pas.
« Je voulais tout vivre, tout écrire », confie le narrateur, qui ne parvient pas bien à distinguer la réalité de la fiction, oscillant sans cesse entre le « moi » et le « lui », le je et l’autre. Un peu avant l’issue fatale, Sam, un dealer black devenu son seul ami, son unique confident, mais aussi son mauvais génie manipulateur, lui assène : « Tu veux sérieusement être un écrivain pédé toute ta vie ? » Du coup, ce Sacha-là n’écrira plus. L’autre, le vrai, est toujours bien vivant, et il raconte cette histoire, « entre gris clair et gris foncé » (merci Goldman), dans un troisième roman qui flirte avec l’autofiction, plus mûr que les précédents. Sacha Sperling a maintenant 23 ans, et il a vécu très tôt pas mal d’expériences extrêmes.
De retour de Los Angeles, où il a tenté durant plus d’un an d’oublier le bide des Cœurs en skaï mauve, où il a rompu avec Jane, son premier amour, et où, somme toute, il s’est enquiquiné, Sacha voit réapparaître progressivement tout son entourage parisien, celui qu’il avait croqué dans Mes illusions donnent sur la cour. Une bande de « poulets d’élevage », garçons et filles friqués des beaux quartiers, qui ne vivent que pour Deauville et les Rolex, bricolent dans le cinéma, se saoulent et se défoncent dans des « fêtes » pathétiques, traînant partout leur vide abyssal. Ils s’appellent Flora, Jane (un temps réapparue), Violette, Inès ou Quentin (son meilleur copain d’enfance dont Sacha apprendra les turpitudes de proxénète en herbe)… Il les revoit, les fréquente, et s’aperçoit vite qu’il n’a rien à leur dire. Le seul qui a disparu, c’est Augustin, son amoureux dans Mes illusions… D’ailleurs, Sacha ne parle guère. Il fait semblant d’agir comme les autres. Jusqu’au jour où, dans une réception bizarre inspirée du Grand Meaulnes, la coke en plus, il rencontre Mona, une fille différente, mystérieuse, provocante, dont il s’éprend illico. Après quelques mois d’un amour fou fait d’extravagances adolescentes, où toute sa vie tourne autour de la jeune fille, il va se trouver emporté dans un piège qui le dépasse, et où il risque sa peau.
De roman psychologique cathartique, le livre bascule dans le thriller, et le lecteur aussi, emporté par l’originalité et le talent d’un écrivain authentique qui a peut-être enfin exorcisé ses démons.
J.-C. P.