Espagnols et francophiles, tous deux ont fréquenté le lycée français en Espagne, mais l'un était à Barcelone, l'autre à Madrid... C'est à Sciences Po Paris, que se forge leur amitié, dont le fruit sera la création d'Arpa en France. Une nouvelle maison d'édition spécialisée en titres étrangers de non-fiction ?! Ils sont fous, ces Espagnols ! Pas du tout, assurent les cofondateurs trentenaires. Déjouant les clichés de démesure attribués aux Hispaniques, version impérialiste mode « conquistadors », ou utopique mode « Don Quichotte », ils soulignent combien ils sont à la fois enthousiastes et réalistes.
Portés par le dynamisme de l'économie espagnole (3 % de croissance en 2024), Álvaro Palau Arvizu et Guillaume Arenas avaient eu de longues discussions avant de se lancer dans l'aventure française d'Arpa. Il faut dire que la structure, dont les premiers titres sortent en mars, n'a pas été conçue ex nihilo : la maison mère espagnole Arpa editores fondée en 2016 par Álvaro et son père, Joaquim, (passé notamment par Planeta) compte aujourd'hui parmi les vingt maisons d'essais et de documents espagnoles les plus importantes, avec 4 millions d'euros de chiffre d'affaires. Précisons que le marché espagnol est trois fois plus petit en chiffre d'affaires que le marché français.
De l'Espagne et du monde entier à la France
Aussi aura-t-il été plus simple de monter la maison en deçà des Pyrénées qu'au-delà. « J'ai toujours baigné dans l'édition, se souvient-il. À quatre ans, j'avais dessiné le logo de Planeta en mettant notre nom à la place ; mais être éditeur dans une grande maison, comme l'était mon père, et diriger une petite boîte où on doit tout gérer de A à Z, ça n'a rien à voir ! Et, quand j'ai décidé de quitter mon poste de conseiller en intelligence économique pour créer Arpa avec lui, je ne connaissais pas grand-chose aux arcanes de l'édition... » Les deux premiers ouvrages étaient un essai très contemporain sur le cybermilitantisme et un classique jusqu'alors non traduit en espagnol d'un philosophe des Lumières allemand. Franc succès d'estime et... mévente.
Père et fils œuvrent d'arrache-pied à redresser la barre. Álvaro ne se paye pas : il accepte en parallèle de lucratives missions de « conseil en strat ». En quatre ans (« qui ont paru quatre siècles »), le redressement est spectaculaire... Fort des bons résultats d'Arpa, Palau père suggère à son rejeton francophile de créer une filiale en France. Ni une ni deux, Álvaro appelle pour l'aider à s'établir comme éditeur au pays de Descartes son copain à la double culture, Guillermo, alias Guillaume - dont la mère est française - et qui enseigne le droit public à l'université de Strasbourg.
Guillaume Arenas murmurait déjà à l'oreille d'Álvaro Palau Arvizu, lui pointant tel ou tel ouvrage à traduire. Et venant du monde universitaire, il apporte paradoxalement un regard d'autant plus vigilant sur la lisibilité des textes : « En général, les ouvrages que les chercheurs sont amenés à lire ne sont pas agréables à lire, avec Arpa nous souhaitons du sérieux, accessible et bien écrit ! »
500 000 euros d'investissement
Certes, mais quoi de neuf ? Álvaro, tout de go : « Des best-sellers de non-fiction qui n'ont pas encore été traduits en français ! En réfléchissant Guillaume et moi, et également avec notre actionnaire minoritaire Guillaume Allary, c'est ce sillon que nous avons choisi de creuser. Nous nous sommes fait nos propres scouts en dénichant des titres parfois traduits dans 20, 30, 50 langues dans le monde entier, sauf en France. » Des Anglo-saxons, mais pas uniquement, la maison traduit du turc, du portugais... Arpa propose une « vision éclectique et large, mais rationaliste et fondée sur des bases scientifiques » : tel l'essai de Vaclav Smil qui paraît ce mois, 2050 : pourquoi un monde sans carbone est presque impossible.
« Nous sommes plus proches des penseurs inductivistes qui partent de l'observation des phénomènes concrets plutôt que de grandes idées abstraites. Nous fonctionnons en rhizomes, reliant des choses très diverses les unes aux autres : ici un essai sur l'importance de l'histoire comme discipline unificatrice du genre humain, là un livre de cuisine catalane ou Origines : une grande aventure de la Terre du Big Bang à nos jours de David Christian, autre sortie de mars, ou un bouquin pour endormir les enfants, ou encore une histoire des racismes très novatrice avec des gravures, des cartes... Par cette richesse de points de vue, nous cherchons à sortir de la morosité ambiante du Vieux Continent. Les Européens pensent qu'ils habitent la fin des temps et que tout a été fait ou dit. Rien de plus faux ! À découvrir le neuroscientifique et vulgarisateur Robert Sapolsky, méconnu en France mais dont l'œuvre a été vendue à plus de 2 millions d'exemplaires dans le monde. Et dont nous publions en juin le génial essai sur le déterminisme. »
Mais la conjoncture économique de la France n'est pas celle de l'Espagne, dont le secteur de l'édition a connu l'année dernière une croissance de 10 %... Même pas peur ! « On investit un demi-million d'euros et un bout de nos vies (on ne sait pas de quelle taille) pour publier de la non-fiction étrangère en France, c'est le rôle que nous nous sommes assigné. » Et toujours l'optimisme pour carburant : « Quand on est une petite boîte, il faut se décorréler de la situation macro-économique. L'important, c'est de croire à son projet ! »