Ivan Levaï a à peine signé DSK, chronique d’une exécution , que sont sortis dans la foulée Le Bal des hypocrites de Tristane Banon, ainsi que L’Enculé de Marc-Edouard Nabe. Ce dernier ouvrage est présenté comme un roman dans lequel figurent tous les noms de l’affaire, tandis que celui-là, peuplé d’appellations vagues (« le cochon »), serait à ranger au rayon littérature. Rappelons que la qualification de « fiction » ne met en rien l'auteur et son éditeur à l'abri des foudres de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (ou plutôt sur la diffamation ! ). La publication d'un texte litigieux sous le label « roman » n’atténue en effet que très faiblement la responsabilité juridique si le texte fait référence à des situations ou des personnes réelles. Il en est de même pour l'illusoire avertissement que «  toute coïncidence avec des personnes ayant existé ne serait que fortuite ». L'utilisation d'une telle formule peut même dans certains cas souligner une véritable volonté de porter atteinte à des individus réellement connus de l'auteur. Les annales judiciaires fourmillent de sanctions parfois très sévères à l'encontre de romanciers qui ont réglé leur compte à quelques vieilles connaissances en utilisant leurs patronymes pour désigner les personnages les plus détestables de leur œuvre. Si celui qui se sent visé réussit à démontrer que l’auteur connaît son existence, il est souvent difficile pour ce dernier de prouver aux juges son absence d'intention de nuire. Simenon a ainsi été condamné par un tribunal belge à supprimer le nom d’un personnage de Pédigrée «  présenté sous un aspect peu flatteur ou prêtant à la moquerie  ». Il est bien entendu nécessaire pour celui qui, célèbre ou inconnu, croit se reconnaître, de démontrer qu'il n'y a pas d'ambiguïté possible et qu'il est identifiable par un nombre suffisant de lecteurs potentiels. Il ne lui suffit donc pas de s’imaginer être la cible d’un auteur, mais d'apporter la preuve que les lecteurs qui le connaissent ne manqueront pas de décoder les descriptions les plus embarrassantes. En l’espèce, quels que soient les livres concernés, le retentissement de l’affaire DSK rend plus qu’aisément identifiables tous les protagonistes, qu’ils soient expressément nommés ou non. Il serait bien entendu trop facile de travestir partiellement ou totalement les noms des personnages, si nombre d’autres indices ne laissent aucun doute sur l’identité de celui qui est dépeint. Il en est de même de l’usage de simples initiales. Christophe Donner l’a appris à ses dépens puisqu’un de ses romans a été interdit il y a quelques années pour avoir attenté à la vie privée de Paul Ricœur, dont le nom et les traits étaient à peine dissimulés. Mais, pour l’heure, il y a fort à parier qu’aucun des nombreux personnages de l’affaire DSK n’a envie de fréquenter à nouveau un tribunal.
15.10 2013

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