avant-portrait

Baudrillard avait raison, estime Titiou Lecoq, le réel s’est effondré, il ne reste plus que de la représentation." Avant d’être journaliste, blogueuse, écrivaine, la jeune femme a étudié la sémiotique à la Sorbonne. Cinq ans à décrypter des discours et des signes, avec notamment un mémoire de maîtrise sur La rhétorique de Jacques Chirac en 2002. Aujourd’hui, dans son dernier livre, Sans télé, on ressent davantage le froid, sous-titré Chroniques de la débrouille, elle joue toujours sur cette ambiguïté entre la réalité et la fiction. Mieux, elle la vit.

Sans télé… se veut le récit du parcours "sociologique, générationnel et archétypal" de ce qu’on appelle "l’intellectuel précaire". Trentenaire, urbain, surdiplômé, absolument pas adapté au marché du travail, mais qui maîtrise parfaitement les nouveaux outils de communication : Web, blogs, réseaux sociaux. "Est-ce que la narratrice de mon livre est moi ou pas, je suis incapable de le dire", explique l’auteure. Qui poursuit : "Le blog est un genre littéraire comme un autre, sans promesse de sincérité, ni de vérité. Un peu comme dans Nadja de Breton." Et, comme chez Breton, il y est question d’amour : le livre court du 18 juillet 2008, date de la rupture avec son copain, jusqu’au 13 janvier 2013, anniversaire de Têtard, le premier enfant qu’elle a eu avec le nouvel homme de sa vie, son rédacteur en chef, qu’elle appelle Chef. Mais le texte publié n’est pas celui diffusé sur le blog : sous la direction de son éditrice Alexandrine Duhin, qui l’a "chassée" et amenée chez Fayard, Titiou a trié, coupé, réécrit, rajouté certains épisodes, notamment les pages, assez décapantes, sur sa grossesse. Cela donne un livre enlevé, cru, où la vie de tous les jours est contée, expliquée, glosée en temps quasi réel. Et pas écrit en blogish.

L’aventure littéraire de Titiou Lecoq a commencé en 2007-2008, lorsqu’elle s’appelait encore Audrey. Alors que sa famille, "très IIIe République", rêvait pour elle d’une carrière stable dans l’enseignement, elle a choisi une discipline bien peu rentable, la sémiotique, puis enchaîné quelques boulots alimentaires, comme "assistante d’éducation dans un lycée professionnel mode et couture installé, par hasard, dans le 16e arrondissement de Paris". Elle y travaille à temps partiel, "pour essayer d’écrire". Déjà. Mais, cette année-là, elle décroche un stage à plein-temps aux Inrockuptibles, son "journal de référence". Alors qu’elle idolâtre le grand journalisme, façon reporter de guerre, elle se retrouve critique de télé ! Peu importe. Elle en profite pour accoucher d’un "chef-d’œuvre incompris par toute l’édition française" : un roman de 700 pages sans histoire aucune, sur "des gens qui buvaient du café en déprimant". A l’exception d’une lettre encourageante du Dilettante, refus unanimes.

Touchante et impudique.

Mais Audrey, devenue Titiou ("pour qu’on me reconnaisse "), ne se décourage pas pour autant : tout en commençant à tenir son blog, elle se lance dans l’écriture des Morues, "un polar contemporain sur la révision générale des politiques publiques sous Sarkozy". Elle le fait lire à quelques amies, le reprend trois ou quatre fois. Puis le manuscrit parvient à Charles Recoursé, qui l’accepte au Diable vauvert. Le livre paraît en 2011, et se taille un joli succès : 20 000 exemplaires en grand format, 65 000 au Livre de poche, où il est sorti en mai 2013. Une adaptation à l’écran était même prévue, par Sylvie Testud. Mais l’affaire ne s’est pas faite, pour des raisons apparemment compliquées : la réalisatrice a même tiré de cet imbroglio un roman, C’est le métier qui rentre, publié chez Fayard au début de cette année !

Titiou Lecoq, elle, qui dit "avoir appris à raconter une histoire", travaille à son deuxième roman pour Au Diable vauvert. "Ce ne sera pas un polar, mais un livre qui parle d’Internet, l’objet littéraire parfait." Elle fait des piges, notamment sur la culture Web pour Grazia, et sur la politique pour Slate.fr. Et elle tient toujours son blog, Girlsandgeeks.com, fréquenté par plus de 650 000 visiteurs uniques depuis 2008. C’est sur eux, naturellement, qu’elle compte pour faire de Sans télé… un succès, mais sans se faire d’illusions : "Un tiers vont me dire "T’as vendu ton âme", un tiers "C’est cool mais je m’en fous", et un tiers sont des lecteurs potentiels." Audrey-Titiou est une fille bien de notre temps, touchante et impudique à la fois, pour qui tout fait littérature. Y compris sa vie privée. Un scoop ? Elle attend un deuxième enfant, toujours avec le Chef, et elle le surnomme déjà Curly. Sans blog ?

Jean-Claude Perrier

Sans télé, on ressent davantage le froid, Titiou Lecoq, Fayard, 330 p., 18 euros, ISBN 978-2-213-67867-2. Sortie le 2 avril.

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