5 JANVIER - ROMAN France

La vie est un mensonge

La vie est un mensonge

Philippe Ségur retourne à la fiction avec un roman dont le héros insomniaque n'en est pas moins clairvoyant. Refus de la société et d'une existence en deçà de ses espérances juvéniles, l'auteur de Métaphysique du chien entend rester l'anticonformiste de sa jeunesse.

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Par Sean James Rose
Créé le 19.03.2015 à 18h05 ,
Mis à jour le 27.03.2015 à 12h44

Philippe Ségur- Photo JOHN FOLEY/OPALE/BUCHET CHASTEL

Il n'y a pas si longtemps, avant l'actuelle célébration de la jeunesse comme acmé de l'existence, on appelait cette délicate période de l'adolescence l'âge bête. Bête parce que le jeune rebelle ne veut pas comprendre qu'être adulte c'est être responsable, ne pas forcément poursuivre ses inclinations profondes mais prendre l'autoroute de la réussite matérielle toute tracée par la société et les parents. Philippe Ségur, 47 ans bien sonnés, entend rester "bête" et user de cette bêtise à bon escient. Son refus de se conformer est le fil rouge d'une oeuvre qui compte déjà une demi-douzaine de romans et d'essais. Son premier roman, Métaphysique du chien (Buchet-Chastel, 2002), racontait les aventures rocambolesques d'un jeune homme à peine sorti des études qui préférait vivre dans un cagibi avec son gourou canin plutôt que de marcher dans les clous. Dans Le rêve de l'homme lucide, le narrateur aux accents d'autofiction - Ségur a une formation de professeur de droit, écrit des livres - est en quelque sorte ce même ex-étudiant désabusé, sauf que, contrairement au juvénile alter ego, il a opté pour le kit carrière-femme-enfants-propriétaire. Simon Perse, en pleine crise de la quarantaine, se prend dans la figure une réalité qu'il avait essayé d'occulter pendant des années : "J'étais devenu un figurant de théâtre. Je servais la réplique pour que la pièce puisse continuer. Phrases creuses, conjonctions de coordination, marqueurs de temps et d'espace." Il quitte métier et foyer et se consacre entièrement à l'écriture. Il a beau avoir plusieurs livres à son actif, le dernier ne vient pas. Le dépressif insomniaque consulte le Dr Zennegger, qui lui conseille de ne carrément plus dormir. Ainsi commencent le cauchemar éveillé du héros et le roman qu'il avait tant de mal à démarrer. Désoeuvrement d'un père qui s'occupe de ses marmots le week-end, séances chez le psy, ce "trompe-l'oeil peint sur un fauteuil, équipé d'une chambre d'écho et d'une caisse enregistreuse", et scènes fantasmées où la rencontre avec une belle inconnue, créature exotique ou sublimité grecque, a pour issue la mort violente... Tout s'enchevêtre dans les pages que noircit Simon Perse. Dans Poétique de l'égorgeur (Buchet-Chastel, 2004), un professeur voyait sa vie se dédoubler dans la saga d'un monstre sanguinaire. Ici, la fantasmagorie est concomitante, c'est le choc de deux temporalités : fiction et réalité. Le jeu de miroirs est vertigineux, on lit l'histoire d'un personnage qui écrit lui-même le livre qu'on a entre les mains. Sa fille lui parle du Livre de Job, et c'est précisément à ce passage biblique qu'il faisait allusion dans son roman... Et l'impression de déjà-vu de nous plonger dans la fébrilité borderline du narrateur.

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