9 février > Histoire France

Ils n’osent pas, évidemment. Comment le pourraient-ils devant un juge le plus souvent acquis à la cause des propriétaires ? "J’ai reçu quelques châtiments, mais si légers qu’ils n’ont jamais entamé la peau." Pourtant, la plupart font encore confiance à la justice coloniale pour condamner les excès de leurs maîtres. C’est ce qui ressort de ce document exceptionnel qui redonne la parole à ceux qui n’ont pas laissé de mots sur leurs souffrances.

Pour saisir la vie quotidienne des esclaves en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, Frédéric Régent (Paris-1 Panthéon-Sorbonne), Gilda Gonfier (directrice de la médiathèque du Gosier en Guadeloupe) et Bruno Maillard (Université de La Réunion) ont exhumé des histoires de ces archives judiciaires dans les années 1830. On y croise quelques esclaves qui viennent se plaindre de la brutalité de leurs maîtres. Presque toujours, ils n’obtiennent pas gain de cause. Mais leurs dépositions ou leurs interrogatoires permettent d’appréhender des bribes de leur vie au travers de ces témoignages qui mêlent français et créole.

Cet ouvrage est un document rare sur l’esclavage à la veille de son abolition. On y découvre le quotidien de ces hommes, femmes et enfants, les relations qui se nouent parfois entre maîtres et serviteurs, la manière de gagner un peu d’argent, la consommation de tabac et d’alcool, la vie dans les cases, l’importance des jardins que l’on cultive pour survivre, les relations avec les citoyens libres ou les tentatives de marronnage.

On trouve de tout dans ces procès pour mauvais traitements - le fouet, le bâton, les chaînes, les masques de fer, le cachot, et même des supplices innommables : "Monsieur m’a ordonné de déterrer un cadavre, de prendre les parties de ce cadavre, de les mêler à des excréments, pour le donner à manger à Céline." L’acte d’accusation parle d’"un monument de discipline barbare", mais la barbarie est d’abord dans le système esclavagiste.

Libres et sans fers est un livre important. Il dépasse les débats caricaturaux pour s’intéresser à la réalité. "Les esclaves sont davantage des femmes et des hommes qui survivent que des rebelles." Ils croient que l’Etat peut les protéger. Ils tentent de vivre avec ce statut inique et abject en se construisant un monde parallèle, quelques miettes d’autonomie gagnées sur la servitude. Une façon de s’émanciper de la tutelle du maître en attendant la liberté. L. L.

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