18 mars > BD Suisse

C’est une idée étrange qu’a eue Matthias Gnehm. Etrange mais plausible dans un pays comme la Chine, où se développent depuis un quart de siècle des projets aux ambitions démesurées, et où la copie est à la fois une culture et un principe de développement. Le dessinateur et architecte suisse imagine qu’un architecte renommé, Hans Romer, cherche à reconstituer près de Kunming, dans le sud de l’empire du Milieu, une ville de 300 000 habitants qui serait la copie conforme de Zurich. Leo Lander, un confrère zurichois qui est, lui, au chômage, s’envole pour rejoindre à Kunming celui qui fut son mentor et lui a proposé de travailler à ses côtés à son grand œuvre.

En réalité, Hans Romer demande surtout à Leo Lander de superviser la fabrication de la copie d’une très précieuse statuette de bronze qu’il veut conserver tout en la vendant aux enchères. Une opération pour le moins douteuse, mais dans laquelle Leo Lander va tremper malgré ses scrupules. Confronté à la fois à une crise conjugale et à de gros problèmes financiers, il n’a pas vraiment le choix.

Matthias Gnehm mène l’intrigue avec brio. Mais elle permet surtout à l’auteur remarqué pour Mort d’un banquier (Emmanuel Proust, 2004-2005) ou La conversion (Atrabile, 2012) de camper le portrait d’un homme indécis, voire naïf, aux prises avec un monde qui le dépasse. Passé l’enthousiasme de l’envol pour Kunming, Leo Lander va très vite se perdre. A peine relié à sa famille, seulement matérialisée par des conversations téléphoniques dans lesquelles sa femme fait preuve d’une agressivité extrême, insomniaque, il est ballotté par des événements qu’il ne maîtrise pas, dans un monde qu’il ne comprend pas, où le vrai, le faux, les originaux et leurs doubles se confondent.

Graphiquement, le dessinateur a pris en partie ses distances avec les influences expressionnistes qui marquaient ses débuts. S’appuyant sur une intelligence des couleurs qu’il a encore affinée, il s’approprie son propre style, dosant les tons chauds ou froids, équilibrant la lumière et les ombres. Il distille, sur un fond de profonde mélancolie, la lassitude, l’épuisement, la sidération ou la perversité de ses personnages, installant des ambiances au fort pouvoir d’imprégnation. Fabrice Piault

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