La Cour d’appel de Paris a, par deux décisions rendues en quelques jours, les 15 et 22 septembre 2020, jugé que certains contenus de presse ne pouvaient être protégés par le droit d’auteur.
Un des litiges concernait l’hebdomadaire L’ECO, que publie Play Bac Presse et en particulier un article dénommé « Rectifions 5 idées reçues sur les boat people », Or, l’écrivain Jean Paul Mari a signé chez Lattès un livre intitulé Les Bateaux ivres et portant sur les migrants traversant la Méditerranée, où il avait utilisé les quelques éléments de l’article.
Or, selon la Cour d’appel, « le choix de ces idées reçues ne peut révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur de l’article, puisqu’il s’agit de lieux communs largement répandus sur les migrants, dont l’inexactitude est ensuite établie dans le corps de chacun des paragraphes par des données objectives relevant de l’actualité, fournies par les organisations internationales et qui sont dans le débat public, de sorte que l’auteur ne peut se les attribuer. Il n’est pas non plus justifié en quoi l’articulation d’idées circulant très largement, relayées dans les médias et la classe politique, serait originale. Le fait que la définition de certains mots utilisés dans l’article soit ensuite présentée dans un cartouche vert s’explique par la jeunesse du public visé par cet article, comme l’utilisation d’un style écrit simple et épurée est imposée par la nécessité d’être compris des lecteurs de cet hebdomadaire. Aussi le recours à un style concis et à un vocabulaire simple, comme l’ex- pression des idées par des phrases courtes pour présenter des faits relevant de l’actualité, ne peut-il révéler en l’espèce un traitement personnel de l’information ni la sensibilité de l’auteur de l’article ».
Technique reproductive
Dans la seconde affaire, qui opposait le journal La Voix du Nord à une publication en ligne, baptisée La Voix du Nord d’Hénin-Beaumont et affiliée à la municipalité « frontiste » les magistrats sont tout aussi rigoureux en droit et soulignent que « le recours à des effets de style rendant la lecture de l’article attractive pour le lecteur relève de la technique journalistique, mais n’est pas de nature à révéler l’expression de la sensibilité de son auteur, rapportant des informations objectives relatives à la vie locale dont il n’est ni prétendu ni justifié que leur articulation entre elle serait originale ».
Les juges ajoutent que « les expressions qui y sont utilisées, si elles participent à donner un certain ton à l’article, relèvent d’une technique narrative et rapportent des données factuelles, de sorte qu’elles sont insusceptibles de révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur, ou un traitement personnel de l’information ».
Rappelons que le droit d’auteur ne couvre pas indifféremment toutes les œuvres littéraires et artistiques. D’une part, si l’accomplissement d’aucune formalité n’est exigé, seule une réalisation matérielle peut prétendre à une protection par le droit d’auteur. D’autre part, cette protection est liée à l’existence de ce que les juristes nomment « une création de forme originale ».
La condition d’originalité n’est pas expressément contenue dans la loi, mais seulement évoquée en deux occasions. Sa définition est donc difficile à tracer. Il s’agit pourtant, selon la jurisprudence, de l’élément le plus indispensable à une protection par le droit d’auteur.
Sensibilité subjective
Les tribunaux, qui se sont très souvent interrogés sur cette notion, l’assimilent à « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». L’originalité, c’est donc la marque de la sensibilité de l’auteur, la traduction de sa perception d’un sujet, ce sont les choix qu’il a effectués qui n’étaient pas imposés par ce sujet. On peut aussi entendre par là l’intervention de la subjectivité dans le traitement d’un thème. L’auteur d’un catalogue de matériel pour restaurateurs s’est ainsi vu dénier en justice une protection par le droit d’auteur au motif que la disposition verticale des objets et l’emplacement des photographies se retrouvaient dans les catalogues d’autres sociétés. Sa création manquait donc d’originalité.
L’originalité n’est ni l’inventivité, ni la nouveauté dont il faut clairement la distinguer. Une œuvre peut être originale sans être nouvelle: elle bénéficiera donc de la protection du droit d’auteur, même si elle reprend, à sa manière, un thème cent fois exploré. De même, une œuvre peut être aussi originale tout en devant contribution à une autre œuvre. Il en est ainsi des traductions, adaptations, etc. À la différence de la nouveauté, notion objective qui s’apprécie chronologiquement – est nouvelle l’œuvre créée la première –, l’originalité est donc une notion purement subjective. Dès l’instant qu’une œuvre porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, qu’elle fait appel à des choix personnels, elle est protégée par le droit d’auteur.
En matière de texte, l’originalité se retrouve dans deux éléments : la composition et l’expression.
La composition est l’ordonnancement des chapitres, le déroulement de la trame, la mouture, le plan.
L’expression, c’est le style, le choix des mots et des tournures de phrase.
L’originalité d’un livre ou d’un article de presse peut cependant ne résider que dans sa seule expression ou dans sa seule composition. C’est ainsi qu’une anthologie de fabliaux n’a d’original que sa composition.
L’auteur de l’anthologie ne pourra prétendre à une appropriation des textes choisis, mais pourra, en revanche, poursuivre en justice quiconque reprendra l’ordonnancement qu’il aura suivi. À l’inverse, une version romancée de La Belle au bois dormant sera originale par son expression, mais pas par sa composition.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’en l’absence d’originalité, et donc de protection par le droit d’auteur, il est fréquent d’arguer de la concurrence déloyale pour décourager les emprunteurs.