Dans l’album jeunesse, la tendance au "dézingage" des contes de fées a toujours le vent en poupe. Publié chez Talents hauts, Cendrillon et la pantoufle velue (Davide Cali et Raphaëlle Barbanègre) campe une Cendrillon dont le carrosse est un navet et la robe un habit affreux. De même, après l’amusant Petit Chaperon belge en 2016, l’éditeur Marcel & Joachim récidive en revisitant le célèbre conte Barbe bleue à la sauce québécoise dans le livre-CD Barbe Blue le maudit Québécois de Camille de Cussac. Si dans une histoire tout est question de point de vue, pourquoi ne pas donner pour une fois celui du loup plutôt que celui, sempiternel, du Petit Chaperon rouge ? C’est le pari audacieux du très beau Dans tes yeux de Philippe Jalbert (Gautier-Languereau). Le livre-CD Alice & merveilles chez Didier Jeunesse, illustré par Clémence Pollet, propose quant à lui une relecture contemporaine, espiègle et énergique du roman de Lewis Caroll.
L’album jeunesse semble de moins en moins manichéen. Ainsi, chez Glénat Jeunesse, on se fait l’avocat des méchants des contes de fées dans Même les méchants ont des secrets (Ilan Brenman et Magali Le Huche) et, à l’inverse, Seuil Jeunesse suspecte les bons de ne pas être aussi bons qu’on veut bien le dire. En effet, l’étonnant A l’intérieur des gentils (pas si gentils) de Clotilde Perrin sonde l’envers du décor des célèbres personnages de gentils des contes, dévoilant toute la panoplie de ruses, de stratagèmes que le gentil dissimule en lui. Quant au père Noël, lui non plus n’est plus ce qu’il était. Dans Lettres timbrées au père Noël (Elisabeth Brami et Estelle Billon-Spagnol), on découvre un ours qui perd ses poils, une poupée qui fait peur, etc. En revanche, l’éditeur Gulf Stream doit encore croire au père Noël puisque, pour la première fois, il se lance dans l’édition d’albums de Noël avec un premier titre Où est le renne au nez rouge ? de Sophie Adriansen et Marta Orzel. Thierry Magnier va également faire paraître un calendrier de l’avent version album, confié au talent d’Emmanuelle Houdart (La parade de Noël). Autre déboulonnage d’une figure mythique de l’enfance, celui de la sacro-sainte princesse. Celle de Tu seras ma princesse (Marcus Malte et Régis Lejonc) chez Sarbacane porte des lunettes. On aura tout vu !
S’en fout la peur
Si l’enfance est le terreau des grandes naïvetés, c’est aussi celui des grandes peurs. Glénat Jeunesse les ratatine en règle. La désopilante série à succès "Comment ratatiner…" continue sa percée avec un nouveau titre Comment ratatiner les idées noires (Catherine Leblanc et Roland Garrigue). Son optimisme, cet éditeur l’affiche aussi dans la série Sam & Watson, inspirée du feel-good book, et qui s’agrandit d’un nouveau titre, Comme des grands ! (Ghislaine Dulier et Bérangère Delaporte). Dans l’album jeunesse, le rire est l’arme par excellence contre les peurs et les contrariétés. Humour et bonne humeur à tous les étages dans l’irrésistible Les jours pairs chez Hélium (Vincent Cuvellier et Thomas Baas) qui propose "179 histoires à lire avec qui on veut" à partir de 5 ans. Toujours chez Hélium, Carole Fives carbure elle aussi à l’humour et renverse la vapeur en se demandant, avec Séverine Assous, Comment faire garder ses parents ?. Aux éditions Les Fourmis rouges, La tribu qui pue (Elise Gravel et Magali Le Huche) est une ode foutraque à la liberté des corps et des esprits. On rit de tout et parfois du trivial, comme de l’invasion de poux (Rick Pou et les poux migrateurs de Laurent Cardon (aux éditions Père Fouettard). Au Seuil Jeunesse, Gilles Bachelet imagine Une histoired’amour entre deux gants Mapa, comme quoi tout peut arriver ! Même les fables écologiques puisent dans la veine comique. Dans Ça me gratte la Terre ! (Seuil Jeunesse), Olivier Costes et Camille de Cussac imaginent une planète Terre très peu présentable, sale et qui se gratte, le jour du concours de la plus belle planète organisé par Cosmos. Question poilade, nos amies les bêtes ne sont pas en rade. Dans le savoureux La retraite de Nénette, Claire Lebourg (L’Ecole des loisirs) imagine l’orang-outan Nénette, star du jardin des Plantes, rangée des vélos et se la coulant douce dans une vie désormais très parisienne, shopping et tout et tout, ce qui ne l’empêche pas d’avoir ici ou là un petit coup de blues.
De la poésie avant toute chose
La poésie est un ingrédient majeur de l’album. Ainsi l’insolite La graine de carotte (Ruth Krauss et Crockett Johnson) à paraître chez l’inventif éditeur Memo, qui reprend dans sa collection "Grandes rééditions" quelques chefs-d’œuvre de l’édition jeunesse mondiale. Un petit garçon plante une graine de carotte dont tout son entourage lui prédit qu’elle ne produira jamais rien, jusqu’au jour où… Un bijou de minimalisme. Ténu également, le minuscule motif qui fait tourner les pages de l’album de Juliette Binet Le mauvais pli (Rouergue), dans lequel un promeneur et son chien sont en butte à un pli capricieux. Fourmillante et très chargée est en revanche l’illustration de Merveilleuse nature : un fabuleux cherche et trouve (Nathalie Béreau et Michaël Cailloux) chez Thierry Magnier, où l’enfant est invité à retrouver objets et animaux dans un fouillis d’animaux, formes, objets, fleurs qui se croisent et s’entrecroisent. De son côté, Retrouve-moi ! d’Anthony Browne (Kaléidoscope) convie lui aussi l’enfant à chercher des surprises dissimulées lors d’une partie de cache-cache dans une forêt mystérieuse et poétique. L’enfant aime se cacher, mais il aime plus encore être retrouvé.