Charles reçoit un courriel mystérieux : "Kérim a attrapé un cancer." Charles est soldat, il est aux transmissions, il crapahute dans le désert, il fait la guerre. Kérim est son ami d’enfance, l’était, lorsqu’il habitait à C. Ils s’étaient connus à l’âge de 9 ans, dans la cour d’école. Une rencontre très vite suivie d’une bagarre : des gamins avaient encerclé Charles, prêts à le rouer de coups : Kérim avec lequel il avait à peine eu le temps de faire connaissance s’interposa, Charles s’échappa pour chercher le secours de l’institutrice. Les assaillants s’étaient dispersés, et Kérim San avait disparu. Charles retrouva plus tard son camarade métisse arabo-asiatique amoché mais ne lui voulant aucunement de l’avoir abandonné dans son combat contre ceux qui l’avaient attaqué. A partir de là est né un lien indissoluble. "A ces dettes de l’amitié, à cette attirance inexplicable pour un autre qu’on reconnaît d’instinct, à cette gémellité que la nature n’avait pas envisagée, ni l’amour ni les plus nobles élans de l’âme ne peuvent être comparés." Charles lâche tout pour rejoindre C. et l’hôpital où "Ké", atteint d’une leucémie, attend une greffe de la moelle épinière. En vérité, les deux amis s’étaient perdus de vue, Charles sentant l’influence de Kérim peser sur lui voulait s’émanciper. Dégagé du magnétisme de ce dernier, il prit le large. Mais en s’engageant dans l’armée il n’avait fait que confier son angoisse de liberté à la hiérarchie militaire. Kérim, quant à lui, avait bifurqué vers un autre chemin, moins terre à terre : lui aussi voulait se dominer, avait renoncé à l’alcool et au monde et s’était autoproclamé prophète d’une mystique du combat. Animé par le sentiment de sa propre supériorité, il s’était entouré de jeunes sbires dévoués à sa cause héroïque.
Après un premier roman remarqué sur la banlieue, L’esprit de l’ivresse (Actes Sud, 2013), Loïc Merle poursuit sa singulière voie dans la fiction au moyen d’une écriture lancinante et signe une fable subtile sur la fascination de l’autre. Que ce soit l’introspection sinueuse du narrateur, sa désertion de l’armée et son errance dans la ville, ses émotions vis-à-vis de sa Lily ou sa fuite dans l’ermitage situé en montagne où son ami malade lui conseille d’aller se retirer. Le jeune romancier, né en 1978, sait envoûter le lecteur par un lyrisme assumé, la meilleure arme pour dépeindre la précarité du réel, traduire toutes les nuances de sentiments contradictoires. S. J. R.