8 janvier > Histoire France

Le jeu de massacre politique semble une spécialité contemporaine. Il ferait presque oublier qu’on pouvait jadis mourir pour des idées. C’était un temps où les députés tombaient comme des mouches. De 1792 à 1795, ils furent 96 à décéder de mort non naturelle, assassinés, fusillés, suicidés mais le plus souvent guillotinés. L’excellent Michel Biard, auteur d’un savoureux Parlez-vous sans-culotte ? (Tallandier, 2009, Points, 2011) et spécialiste de cette époque, nous raconte la Révolution autrement, dans ce qu’elle a de plus terrible mais aussi de plus fascinant, dans cette passion exacerbée de la politique qui conduit quelquefois directement à l’échafaud. On ne cherche plus à convaincre son adversaire, on l’exécute le plus souvent via le tribunal révolutionnaire. On passe ainsi de l’élimination politique à l’élimination physique. Ce fut le cas pour Collot d’Herbois, déporté en Guyane où il périt sous l’enfer de ce qui fut appelé "la guillotine sèche".

En examinant les différents cas de ces représentants du peuple, l’historien (université de Rouen) contribue aussi à revisiter cette période où se sont forgées les légendes noires ou dorées, dont l’affrontement Robespierre-Danton reste un modèle. Michel Biard reprend les dossiers un à un. Il classe, compare, analyse. A l’appui de sa démonstration, il cite de nombreux documents policiers, médicaux, et étudie les procédures judiciaires, loin des images brutales et univoques de la Terreur.

De cette période d’errements, de craintes et d’attentes émergea un art de mourir républicain inspiré par l’hécatombe entre la Gironde et la Montagne. Pour préserver sa tête, mieux valait siéger à la Plaine, c’est-à-dire au centre. C’est à ce moment que survint la passion des derniers mots, quelquefois inventés par Michelet ou Lamartine puis colportés depuis. Il n’empêche, l’ardeur du politique fut poussée à l’extrême dans toutes les directions. Jamais, durant les autres révolutions du XIXe siècle ou pendant les deux guerres mondiales, la représentation nationale n’a payé un aussi lourd tribut qu’en ces années frénétiques. Michel Biard rappelle à notre mémoire ces 96 députés de la Convention qui ne furent pas tous les monstres sanguinaires décrits par la suite. Alors que la défiance s’installe aujourd’hui entre le peuple et ses représentants, il n’est pas inutile d’aller revoir ces temps de luttes et de convictions, où le couperet menace au moindre faux pas. Michel Biard montre qu’il n’y a qu’une seule énergie qui ne se monnaie pas. Celle du désespoir.

Laurent Lemire

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