L'audace de la « culture pour chacun » : propositions Mitterrand sur la BPI et la BNF

L'audace de la « culture pour chacun » : propositions Mitterrand sur la BPI et la BNF

Cela faisait longtemps que le ministre de la culture n'avait pas défini une politique en matière de lecture publique ( voir document sur le site internet du Ministère ). C'est plutôt rassurant à l'heure où le nouvel organigramme du ministère faisait disparaître la « direction » du livre et de la lecture et où les restrictions budgétaires menacent de s'abattre sur ce secteur (quand ce n'est déjà fait). Les deux premières propositions visent la BPI et la BNF qui sont les deux navires relevant de la compétence de l'ex DLL et dont le pilotage semblait comme lui échapper. C'est judicieux de reprendre la main sur la barre et de fixer un nouveau cap qui puisse ensuite être suivi par les autres établissements de lecture publique du pays. Et si c'était l'occasion de donner naissance à une nouvelle manière d'envisager la bibliothèque ? Et pourquoi ne pas reprendre le thème de «  la culture pour chacun  » que Frédéric Mitterrand utilise depuis sa présentation du budget à l'automne ? En quoi la BPI et la BNF pourraient-elles œuvrer pour la «  culture pour chacun  » ? Ces deux établissements ont en commun de servir principalement un public scolaire ou universitaire et très régulier. En 2006, 46% des visiteurs de la BPI déclaraient venir au moins 25 fois dans l'année et 18% tous les jours. Ces équipements sont largement le lieu d'habitués qui ont apprivoisé son offre d'espace (surtout) et de collections (peu : en 2009, 26% des visiteurs de la BPI disent être venus pour chercher un document précis). Ils ne sont pas exactement le lieu de «  la culture pour chacun  ». Que leur manque-t-ils ? La «  culture de chacun  » est d'abord une remise en cause de l'ordre social de la culture : la culture n'est pas celle que quelques uns choisissent pour «  tous  » mais celle que «  chacun  » se forge dans la totale légitimité de ses choix. Elle est donc profondément diverse non seulement parce que chacun est singulier, différent des autres mais aussi parce que nous sommes multiples. «  Chacun  » revendique de choisir la manière dont il se définit à un moment. Dès lors, la «  bibliothèque de chacun  » doit couvrir une diversité qui ne saurait se réduire à la diversité des grandes rubriques de la Dewey. Après tout, on peut venir sans intention thématique à la bibliothèque et chercher une ambiance, un espace, une occasion de détente. Le divertissement peut faire partie des fonctions de la bibliothèque. Il ne se place pas en contradiction avec l'étude : les mêmes qui étaient penchés avec profondeur dans leurs révisions ou leur recherche peuvent d'un coup se tourner vers l'espace cafétéria (l'allongement constaté du temps de séjour à la BPI ne résulte-t-il pas de l'ouverture de la cafétéria ?) ou vers d'autres. Ainsi, des points de propositions de presse, de BD, de jeux-vidéos ne seraient-ils pas à même de satisfaire plus pleinement les «  chacun(s)  » qui viennent déjà et d'autres intéressés d'abord par le divertissement ? L'entreprise à la BNF sera sans doute plus difficile tant le bâtiment et l'institution marquent fortement la proposition faite à «  chacun  ». Le succès de l'exposition "Eros au secret" laisse entrevoir une certaine disponibilité de la population pour des offres en décalage avec l'image austère de la BNF. On rêverait donc que les bâtiments amiraux de la lecture publique française incarnent une audace retrouvée dans la définition d'une nouvelle politique... Et l'arrivée de P. Bazin à la direction de la BPI est porteuse d'espoirs tant il a développé une réflexion et mis en place des services innovants. Mais ce n'est pas tout, la «  culture pour chacun  » passe largement par le numérique et les propositions du ministre prennent en compte cette dimension. Dès lors, il serait bénéfique pour toutes les bibliothèques publiques que la BPI et la BNF les soutiennent fortement dans la construction d'une offre dématérialisée de musique et de vidéo. Le point est évoqué dans les propositions mais son importance paraît trop limitée. Combien d'établissements «  de région  » se débattent isolément pour comprendre les offres et imaginer les services à offrir ? La dématérialisation conduit à une délocalisation de l'offre et l'échelon national est totalement pertinent pour le relever. C'est une mobilisation au moins équivalente à celle engendrée par les questions patrimoniales qui serait nécessaire. De l'audace, de l'audace, encore de l'audace... 
15.10 2013

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