Une toxicomane égarée qui vole une paire de chaussettes, un Kanak alcoolique jugé pour le viol et l'assassinat d'une touriste japonaise, un ancien instituteur convaincu de pédophilie, un ouvrier arabe soupçonné d'avoir tué sa femme avec la complicité de son meilleur ami cafetier, un sans domicile fixe accusé de viol, trois paumés jugés pour faits de torture et tentative d'assassinat sur l'un de leurs congénères, une bagarre en boîte de nuit qui tourne mal, on en passe et de tout aussi atroces. La vie aux audiences criminelles du tribunal de Lille n'est pas de tout repos. Mais cette humanité-là, si dévoyée soit-elle, ayant abandonné jusqu'à l'idée de salut, égarée dans sa nuit, charrie comme autant de pépites cachées dans la tourbe des éclats bouleversants de tendresse et de beauté.

C'est tout le mérite de Maître Mô, greffier scrupuleux de ces désastres et de ces renaissances, de les révéler ainsi. Maître Mô, c'est Jean-Yves Moyart, avocat pénaliste de 44 ans, inscrit au barreau de Lille depuis 1992. C'est sous ce pseudonyme presque zen qu'il tient l'un des plus fameux blogs de la sphère judiciaire depuis 2008, comptant aujourd'hui plus de 100 000 lecteurs. Il y décline dans de longs textes inspirés les jours et les peines de son métier, les fausses joies, les vrais découragements, la fatigue qui gagne... C'est une sélection de quelques-uns de ces textes, les plus emblématiques, qu'ont la bonne idée de réunir aujourd'hui en volume les éditions de la Table ronde. Si le style y est parfois volontairement relâché, il s'y fait entendre une voix, prêtée pour l'occasion à ceux qui n'en ont pas ou plus. Il y a dans les meilleurs moments du livre, dans son naturalisme sec, quelque chose de Simenon et surtout du très beau Crimes de Ferdinand von Schirach (autre avocat, allemand celui-là), paru chez Gallimard cet hiver. Ce n'est pas gai, certes, mais hors de toute mélasse compassionnelle peut parfois jaillir quelque chose comme l'ébauche d'un espoir, d'une résolution. Ce doit être cela que l'on appelle la justice.