Dans une scène fameuse de Breakfast at Tiffany’s[1], Audrey Hepburn et George Peppard, les protagonistes, se rendent à la New York Public Library, bien connue grâce aux lions qui encadrent sa majestueuse entrée, pour que la première puisse y consulter le livre écrit par le second. En quelques minutes, Blake Edwards, le réalisateur, et son scénariste, George Axelrod[2], condensent dans le personnage de la bibliothécaire (interprétée par Elvia Allman) tous les clichés associés à la personne et au lieu et, en particulier, la nécessité de parler bas et, si possible, de se taire.
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Le « silence en bibliothèque » semble être une notion si archétypale de ces établissements qu’on s’étonne que, au moins en français, elle n’a pas fait l’objet d’une plus abondante bibliographie[3]. Pourtant, si l’on y regarde bien, l’articulation entre silence et bruits (ou sons) en bibliothèque est une sorte de fil rouge qui permet d’interroger leur évolution, en France, dans la seconde moitié du XXème siècle et le début du XXIème.
Au départ, cela n’aura échappé à personne, la bibliothèque est le lieu du silence. Que celui-ci soit d’origine religieuse, comme les bibliothèques elles-mêmes, ne fait guère de doute. Pour le faire simple, les bibliothèques du Moyen-Age sont essentiellement confessionnelles (comme on dit aujourd'hui), et la frontière qui sépare le bruit du silence est la même que celle qui sépare le profane du sacré. Dès lors, se rendre en bibliothèque (pratique rare à mettre en regard du nombre de personnes sachant, à l’époque, lire et écrire), est une forme de rituel dont, des siècles plus tard, Charles Hernu, ministre des armées sous le premier septennat de François Mitterrand, se fera l’écho en inaugurant en 1988 l’ultramoderne Maison du livre, de l’image et du (pourtant) son dans sa bonne ville de Villeurbanne, en déclarant : « Il faut venir à la bibliothèque comme on irait dans une cathédrale ».
Le mur du son
Jusqu’à aujourd’hui, les bibliothèques restent marquées par cette origine. Pourtant, et c’est heureux, elles sont désormais « sorties du silence » et, comme de bien entendu, l’expression doit être exploitée dans son outrageuse richesse polysémique. A gros traits là encore, on pourrait considérer que le basculement des bibliothèques françaises du silence vers le bruit date, pour les bibliothèques publiques, de l’avènement des médiathèques et, pour les bibliothèques universitaires, plus proche de nous encore, de celui des learning centers.
Pour les médiathèques, et comme leur nom était supposé l’indiquer, c’est l’introduction de documents sonores (disques, puis CD) et audiovisuels (vidéocassettes, puis DVD) qui induisait inévitablement la cohabitation entre des documents à usage silencieux (livres et revues imprimés) et des documents générant, quoi qu’on fasse, du « bruit » ou des « sons ». Ainsi, et dans un premier temps, c’est plus par les collections et par leurs usages que par les publics que le « bruit » a été introduit dans les établissements.
Pour ce qui est des bibliothèques universitaires, c’est l’évolution des publics et de leurs comportements – ou, plutôt, la prise en compte en bibliothèque de comportements qui jusqu’alors n’y étaient pas tolérés – qui a induit la « fin du silence ». Puisque, fait incroyable, les étudiants avaient besoin de se parler pour coopérer dans leurs apprentissages, alors, si on voulait que les bibliothèques soient des lieux où l’on favorise ces apprentissages, il fallait leur laisser, dans certaines limites, cette liberté de s’exprimer.
La règle du je
C’est, pour part, à cette condition que les bibliothèques sont passées du XIXème siècle, où le silence était encore la règle pour les toujours rares visiteurs, au XXIème siècle, où la diversité acquise des publics, et leur nombre, obligent à composer avec « la règle ».
Pour les bibliothèques publiques, « briser le silence » a permis, progressivement, d’accueillir des publics différents, aux habitus[4] différents, en élargissant spectaculairement, « troisième lieu » aidant, l’aura et l’influence des établissements, devenus objets politiques. Pour les bibliothèques universitaires, alors que l’« université de masse » impose ses rigueurs, il faut prendre acte tout à la fois de l’évolution des pratiques pédagogiques (moins de cours magistraux, moins de par cœur) et celle de la sociologie des étudiants, de plus en plus livrés à eux-mêmes dans un monde hyper-compétitif, où seuls les plus acharnés pourront survivre.
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Par
Adèle Buijtenhuijs
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